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LIMOËLAN.

laissa déborder les larmes, et, oubliant ses précautions, il retourna chez lui toujours courant, comptant appeler à son aide les premières personnes qu’il verrait. En arrivant près de sa maison, il se trouva face à face avec un soldat d’infanterie, son fusil sur l’épaule, qui frappait à la porte. Langevin, hors de lui, se crut mort ; mais le soldat, venant à lui avec un air de gaieté et de franchise : N’est-ce point ici que s’est arrêté notre capitaine, le citoyen Hercule Limoëlan ?

Langevin était prêt à nier par habitude ; mais, frappé de ce secours inespéré qui venait à son jeune maître, il s’écria en pleurant :

— Hélas ! il est peut-être mort à l’heure qu’il est, votre capitaine, et si vous voulez le secourir, il n’y a pas de temps à perdre.

Le soldat l’interroge, et Langevin, qui parle à peine, montre la tour et le chemin qui mène aux fossés.

— Attendez ! dit cet homme avec feu.

Il franchit la haie d’un saut, reparaît aussitôt avec un gros de ses compagnons, qui semblaient embusqués près de là. On se hâta vers la tour en silence, et l’on suivait attentivement les traces de Langevin, qui poussait de gros soupirs.

Voici ce qui était arrivé au capitaine Hercule, dont l’inquiétude allait croissant par la longue absence de Langevin. Ayant rallumé sa lanterne, il s’était décidé à chercher quelque issue, ne fût-ce que pour tromper son ennui. Il remonta d’abord la galerie, éclairée de place en place par le jour des barbacanes, et se retrouva bientôt à l’entrée de la prison, qu’il reconnut fort bien aux coloriages grossiers qui couvraient les murs, et qui remontaient sans doute à une époque très reculée. Il eut la curiosité de les voir de près. On descendait sur le sol de la salle par un escalier sans rampe qui faisait le coude au coin du mur : c’était apparemment une précaution prise jadis contre les prisonniers en révolte. Quand il fut descendu sur ce sol poudreux, qui recouvrait peut-être bien des cadavres, sous ces voûtes profondes où sa lanterne ne jetait qu’une clarté lugubre, il tressaillit malgré lui, et son imagination mobile évoqua coup sur coup des visions effroyables ; mais, à peine saisi du frisson qu’elles faisaient naître, il se mettait à rire de ces étranges dérèglemens de la pensée. Puis, levant la lanterne, il essaya de distinguer les peintures qui l’avaient attiré. C’étaient de grotesques effigies, que l’inhabileté du crayon rendait horribles, entremêlées d’inscriptions, parmi lesquelles Hercule parvint à déchiffrer celle-ci, dont l’orthographe et les caractères annonçaient l’ancienneté :