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qu’à la vue d’une clarté nouvelle qu’un homme portait et qui parut en allumer plusieurs autres ; il commença de distinguer alors, à travers de lourds piliers, des hommes debout et par groupes, qui s’entretenaient à voix basse. En même temps il sentait autour de lui un air plus frais qui le frappait au visage, et qui lui fit juger que l’enceinte où il se trouvait était fort spacieuse, mais il n’en pouvait distinguer les parois ni les dimensions précises. Enfin, il s’émut vivement et porta la main sur la poignée de son sabre, en s’apercevant que ces hommes étaient armés jusqu’aux dents.

Bientôt un mouvement se déclara parmi ces étranges personnages, dont le nombre semblait s’augmenter, une voix se fit entendre par-dessus les autres ; malheureusement la voûte était si haute et la voix si combattue par l’écho, que le capitaine ne put rien saisir. Jusqu’alors ses impressions avaient été trop vives et trop rapides pour qu’il pût s’y arrêter, mais à la vue de ce spectacle qu’il ne pouvait prendre pour un jeu d’esprit, et se voyant d’ailleurs sur le point de se commettre avec ces figures suspectes, il s’interrogea sur ce qu’il convenait de faire. Aguerri contre les faiblesses de son imagination, convenablement nourri de philosophie et de sciences exactes, il ne s’arrêta pas un moment à des frayeurs ridicules, et pourtant il faut dire que ses souvenirs d’enfance, vivement réveillés par cette scène, l’avaient jeté d’abord dans un grand trouble. Sa raison reprit bientôt le dessus, et il se détourna bien vite sur les causes toutes naturelles qui donnent lieu aux croyances du peuple : il se rappela ces brigands qui, à la faveur des guerres civiles, désolaient certaines parties de l’ouest, et ces conciliabules de faux monnayeurs dont il avait lu tant de contes et qui choisissaient volontiers de tels laboratoires. Il chercha dans sa ceinture les pistolets qu’il y portait durant cette guerre, mais il les avait laissés au chevet du lit de Langevin. Il lui restait donc son sabre, et il sentit sous son uniforme un poignard qui ne le quittait plus : c’était celui que son père avait jeté à ses pieds sur la lande de Saint-Geniès ; il ne lui en fallait pas davantage pour l’affermir contre tout péril.

Les hommes, d’abord dispersés, semblaient avoir pris place. Un silence profond régnait, et ce recueillement pouvait rappeler aussi les secrètes assemblées de ces religionnaires farouches qui ont tant figuré dans les révolutions d’Angleterre. Bientôt la même voix s’éleva, mais le capitaine n’entendait qu’un bruit roulant dans l’écho. Bien décidé pourtant à pénétrer ce mystère, il se glissa hardiment derrière un pilier dont l’ombre épaississait les ténèbres de son côté, et, ce mouve-

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