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ainsi dire. On commence à admettre la possibilité de faire son salut ailleurs que dans un cloître : l’université de Paris se croit et se proclame aussi bonne catholique que l’église ; en un mot, la société laïque, en même temps qu’elle cherche à se constituer et à s’entourer de garanties vis-à-vis des pouvoirs purement temporels, s’exerce peu à peu à faire par elle-même tout ce qui était jusque-là l’apanage exclusif de la société sacerdotale.

Voilà le spectacle que présentent les deux sociétés ; voyons maintenant les deux architectures.

Un fait incontestable, c’est qu’avant le XIIe siècle on ne construit pas un seul édifice religieux dans le nord de l’Europe sans que l’architecte soit moine, chanoine, ou tout au moins ecclésiastique. Presque toutes les sciences, il est vrai, n’avaient alors d’autres adeptes que les hommes d’église ; mais parmi toutes les sciences, celle de l’architecture était réputée sainte et sacrée par excellence. Un des premiers devoirs de l’abbé, du prieur, du doyen d’une communauté, était de savoir tracer le plan d’une église et de pouvoir en diriger la construction. On voit des moines entreprendre de longs voyages, aller jusqu’à Constantinople pour se fortifier dans cette étude, pour puiser les saintes traditions à leur source. Et ce n’est pas seulement dans le clergé régulier que cette science est obligatoire ; il faut que les évêques président aux travaux de leurs cathédrales, comme les moindres prêtres à ceux de leurs églises. En un mot, la règle est générale, jusqu’au XIIe siècle point d’architecte qui ne soit religieux.

Un autre fait non moins incontestable, c’est qu’à partir du XIIIe siècle, sauf quelques exceptions presque imperceptibles, nous ne voyons plus d’autres architectes que des laïques. Les Robert de Luzarches, les Thomas de Cormont, les Hugues Libergier, les Robert de Coucy, les Pierre de Montereau, les Jean de Chelles, les Erwin de Steinback, les Eudes de Montreuil, n’appartiennent ni à l’église ni à aucun ordre ; ils sont tous bourgeois, vivant de leurs œuvres, et la plupart mariés.

Ainsi, avant le XIIe siècle, avant la première apparition du style à ogive, l’architecture est dans les mains du clergé, elle n’a que lui pour interprète ; au XIIIe siècle, au contraire, lorsque l’ogive est souveraine, l’art de bâtir n’appartient qu’aux laïques ; il reste à peine dans le fond des cloîtres quelques vieux moines essayant encore de manier l’équerre et le compas.

Du rapprochement de ces deux faits ne résulte-t-il pas que, dans l’époque intermédiaire, pendant le XIIe siècle, lorsque les deux architectures étaient en lutte, lorsque la victoire semblait encore indécise,