Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/752

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occasion pareille, pour varier le sujet et promener l’attention. Tout discours académique a des périodes à allusions, comme une tragédie de Voltaire avait ses tirades philosophiques. C’est la recette du genre. M. Mérimée, au contraire, s’est borné strictement à son sujet ; il l’a abordé sans préambule et s’y est constamment attaché jusqu’à la fin. La difficulté était de réussir ainsi par le fond même, sans recourir aux moyens ordinaires, sans faire la moindre concession aux habitudes du lieu : M. Mérimée a vaincu la difficulté. L’auditoire n’a même pas été trop surpris ; les traits d’esprit ne lui en ont pas laissé le temps, et le public d’ailleurs aime l’indépendance. Ce discours est une sorte de portrait où le profil de Nodier se découpe nettement, un petit médaillon de bronze où les lignes de sa figure font relief.

Je disais tout à l’heure que M. Mérimée n’avait accosté personne dans son discours, qu’il ne s’était permis aucun hors-d’œuvre, aucune de ces distractions si habituelles aux récipiendaires, à tous ces flâneurs oratoires qui, embarrassés de remplir l’heure exigée, imitent La Fontaine et prennent le chemin le plus long pour arriver à l’Académie ; je me trompais, M. Mérimée a fait une seule, une brève exception. On ne devinerait jamais au profit de qui ! Il a glissé l’éloge de Rabelais. C’est, sans nul doute, la première fois que l’auteur du Pantagruel, obtient les honneurs académiques : M. Mérimée a eu l’art, en lieu si naturellement puritain, de faire accepter sa propre poétique sous le couvert de ce vieux nom, et de forcer chacun d’applaudir tout haut à un auteur que chacun lit tout bas. C’était une sorte de défi malicieux dont l’habile écrivain s’est tiré à merveille. Tout son discours est d’une justesse de ton parfaite et je n’ai surpris qu’une seule note qui m’ait arrêté. A un endroit, M. Mérimée, regrettant que son prédécesseur n’eût pas cultivé ce don des vers qui se révèle dans quelques pièces exquises échappées çà et là à sa muse indolente, dit que « cette voix mélodieuse nous eût rendu peut-être André Chénier. » Ce rapprochement de deux noms qui rappellent des pinceaux si contraires, surprennent de la part d’un juge délicat ; j’oserai demander à M. Mérimée ce qu’ont de commun l’harmonieuse clarté, la grace facile des quelques strophes de Nodier avec cet art savant, avec ce parfum de la Grèce dont sont imprégnés les vers de l’Aveugle ? Mais ce n’est là qu’une vétille, une chicane de critique dont l’humeur est de toujours chercher noise sur quelque point.

M. Étienne a répondu à M. Mérimée par l’organe sonore de M. Viennet. On s’est vite aperçu que M. Victor Hugo, dans sa réponse à M. Saint-Marc Girardin, nous avait transportés, en vrai poète, plutôt