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commerciale aux affaires étrangères, on prétend que ses fonctions exigeaient entre le ministre et lui une étroite communauté de vues, un parfait accord : soit. Mais l’honorable député est à la chambre depuis trois ans, depuis trois ans il siège au centre gauche : d’où vient donc que M. Guizot a reconnu si tard la nécessité de le remplacer ? Si les convenances du service exigeaient la destitution de M. Drouyn de Lhuys, cette mesure aurait dû être prise il y a trois ans ; elle aurait eu alors un caractère administratif. Aujourd’hui, après un vote qui a blessé mortellement le cabinet, la destitution de l’honorable député ne peut avoir qu’un caractère politique. C’est un avertissement donné aux fonctionnaires de la chambre, c’est une menace en vue du vote sur les fonds secrets. On a voulu intimider les dissidens et contenir le parti ministériel. Telle a été en effet l’opinion générale de la chambre, et c’est pourquoi elle a ressenti une émotion si vive. Le ministère a dépassé le but qu’il s’était proposé, et sa violence pourra lui devenir funeste. Par une atteinte si grave à l’indépendance parlementaire, le cabinet s’est frappé lui-même, car il a frappé son propre parti. Il a humilié ses amis en leur ôtant le mérite de leur adhésion, en supprimant la liberté réelle ou apparente de leur vote. Si le ministère pouvait encore trouver une majorité dans les ténèbres du scrutin, les moyens qu’il a pris pour l’obtenir auraient détruit d’avance la valeur morale de son triomphe ; une majorité conquise par l’intérêt et par la peur n’est pas une majorité. Ajoutons qu’en destituant M. Drouyn de Lhuys, dont l’opposition discrète n’avait pas encore abordé la tribune, M. Guizot a oublié la doctrine qu’il avait professée lui-même sur la liberté du vote silencieux. Il tolérait autrefois l’opposition du silence ; il accordait ce refuge à la conscience des fonctionnaires amovibles. Ce dernier asile leur est fermé aujourd’hui ; ils sont condamnés à opter entre une adhésion servile ou une destitution. Cette manière de comprendre les devoirs des fonctionnaires dans les deux chambres remet sur le terrain la question des incompatibilités. Un nouveau grief est ainsi venu se joindre à ceux que le ministère avait déjà amassés contre lui : grief sérieux, dont l’importance va se révéler dans la discussion des fonds secrets.

Un ministère qui a foi en lui-même ne néglige jamais l’occasion d’exercer sur les discussions des chambres un légitime ascendant. Il s’empare de toutes les questions portées à la tribune. Dans les matières administratives comme dans les matières politiques, il conduit sans cesse le débat. Est-ce là, nous le demandons, ce qu’a fait le ministère dans la discussion du projet de réforme sur l’admission et l’avancement des fonctionnaires publics ? Dira-t-on que cette réforme était sans importance ? Ce serait aller contre l’opinion proclamée sur tous les bancs de la chambre. Depuis long temps, la nécessité de déterminer d’une manière fixe les conditions d’admission et d’avancement dans les services publics avait frappé les chambres. L’idée de mettre un terme aux abus de la faveur, de soustraire le gouvernement aux obsessions de toute sorte qui l’assiégent, de poser des limites à une concurrence sans frein, de fermer les carrières aux incapables pour les ouvrir aux candidats intelligens,