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dignes de la confiance de l’état ; de repousser les promotions irrégulières pour encourager les avancemens mérités ; de rendre au pouvoir, à l’administration, aux chambres, une nouvelle force, en les renfermant dans le cercle d’une règle destinée à les soutenir et à les contenir en même temps ; cette idée sage et libérale avait germé depuis plusieurs années dans le parlement. Un ministre de l’intérieur, en 1838, avait même conçu à ce sujet le plan d’une réforme, et les honorables députés qui ont proposé de convertir en loi ce vœu de tout le monde ont répondu à un besoin public. Leur proposition appelait donc un examen approfondi, et les questions qu’elle soulève étaient de nature à provoquer de la part du ministère une intervention sérieuse dans le débat. Pourquoi cette intervention n’a-t-elle pas eu lieu ? Pourquoi, dans une affaire qui les concerne tous, tous les ministres, sauf un seul, se sont-ils abstenus ? Pourquoi M. Duchâtel, qui est à la fois l’un de nos administrateurs les plus habiles et l’un des orateurs qui possèdent le mieux le langage des affaires, s’est-il à peine mêlé à la discussion ? Nul mieux rue lui ne pouvait résoudre ce difficile problème de la réforme à introduire dans les emplois publics. Si M. Duchâtel s’est contenté de prononcer quelques paroles, fort justes d’ailleurs, sur un des points du débat, cherchant ainsi à le diminuer, par une indifférence affectée, au lieu de l’élever et de l’agrandir par le libre concours de son talent, ne faut-il pas voir dans ce calcul la conduite embarrassée d’un ministère qui doute à chaque instant de lui-même, qui craint de soulever les difficultés en soulevant les questions, toujours disposé à se rapetisser pour se dérober plus facilement dans la lutte ?

Telle a été du reste, dans une foule d’affaires, la conduite du cabinet depuis quatre ans. Rarement on l’a vu s’avancer d’un pas ferme ; il n’a jamais en l’attitude d’un gouvernement fort qui compte sur sa majorité et sur lui-même, qui se fie pour le succès dans la droiture de ses intentions, et poursuit ouvertement, à la face du pays et des chambres, l’exécution des plans qu’il a conçus. Si l’on appelle gouverner se maintenir péniblement au pouvoir, transiger sans cesse avec une majorité douteuse, la suivre dans ses oscillations, se prêter à ses exigences, consulter à chaque instant avant de penser, avant d’agir, les dispositions mobiles de son tempérament et de son esprit ; si l’on appelle gouverner faire rarement ce que l’on veut et souvent ce que l’on ne veut pas, nous convenons que les ministres du 29 octobre ont gouverné la France depuis quatre années. Mais si le gouvernement représentatif d’un grand pays est autre chose qu’un perpétuel calcul des chances du scrutin ; si l’on appelle gouverner donner l’impulsion, diriger, maintenir son initiative, appliquer ses vues, attirer à soi la majorité au lieu d’aller à elle, faire ordinairement ce que l’on veut et jamais ce que l’on ne veut pas ; si l’on appelle gouverner marcher librement, courageusement, dans une voie tracée par le sentiment du devoir, personne ne pourra dire que le ministère du 29 octobre ait donné jusqu’ici un tel spectacle. Sans parler des questions principales, comme celle du droit de visite, où l’homme éminent qui représente la politique du cabinet a fait exactement le contraire de ce qu’il voulait,