Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/760

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réclame l’opinion, œuvre modeste, mais utile, qu’un gouvernement sage et libéral, aidé du concours des chambres, accomplirait sans bruit et sans faste. Le ministère du 29 octobre a peu compris cette mission. Sur ce point, comme en beaucoup d’autres choses, il laissera du travail à ses successeurs.

M. de Salvandy n’a pas voulu refuser plus long-temps le portefeuille de l’instruction publique, qui lui était offert depuis un mois. Ses amis ont vivement regretté cette résolution. Avant la discussion de l’adresse, l’ancien ministre du 15 avril avait à la chambre une de ces situations rares qu’un homme politique doit prudemment ménager. Une fraction du parti conservateur le reconnaissait pour chef. Il était le représentant d’une opposition modérée qui blâmait publiquement le ministère sans tramer sa chute. L’opinion de MM. de Salvandy sur le droit de visite, sur Taïti, sur le Maroc, était connue ; elle était formellement contraire au cabinet. On devait donc penser que l’honorable député réserverait son appui à une politique plus conforme à ses convictions et à ses souvenirs. Le sort et l’entraînement des circonstances, beaucoup plus peut-être que la volonté réfléchie de M de Salvandy, en ont décidé autrement. Il est devenu le collègue des ministres du 29 octobre. Ajoutons, il est vrai, que la veille du jour où il prenait cette détermination, le ministère dont il embrassait la fortune avait perdu la majorité dans le vote sur Taïti. Ce simple rapprochement suffirait, s’il en était besoin, pour justifier M. de Salvandy du reproche d’ambition. On serait tenté plutôt de lui reprocher un excès de désintéressement. Du reste, sa détermination n’a modifié en rien l’état des partis. Aucun ébranlement ne s’est produit parmi les dissidens. Loin de là, plusieurs d’entre eux ont pensé qu’après tout la présence de M. de Salvandy dans le ministère n’était pas un mal, que l’honorable député resterait sans doute fidèle à ses convictions comme à ses souvenirs, et qu’en entrant dans le cabinet, il avait dû se proposer pour but de faire triompher loyalement dans les conseils de la couronne les idées de conciliation et de transaction dont il a été l’un des plus fermes soutiens. Nous verrons par la suite, et prochainement peut-être, si ces pressentimens sont fondés.

Quoi qu’il en soit, l’entrée de M. de Salvandy dans le cabinet du 29 octobre a été marquée par une épreuve cruelle. Le jour où il prenait le portefeuille de l’instruction publique, la double destitution de M. de Saint-Priest et de M. Drouyn de Lhuys paraissait au Moniteur. Nous tenons de bonne source que M. de Salvandy a envoyé aussitôt sa démission. Il n’a pas voulu supporter un seul moment la solidarité de cet acte d’intimidation et de colère, de cette brusque atteinte au principe de l’inviolabilité parlementaire, principe que l’ancien ambassadeur de Sardaigne avait si noblement et si énergiquement défendu l’année dernière, lorsque la liberté du vote avait été attaquée dans sa personne. La démission de M. de Salvandy n’a pas été acceptée. Il a fallu les plus vives instances pour la lui faire reprendre.

Au milieu de ces tristes épisodes de la politique, c’est une joie bien grande pour tous les amis de la gloire littéraire de pouvoir annoncer le rétablissement