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côté des gouvernemens, dans les questions importantes ; elle va même jusqu’à faire craindre des révolutions cantonales là où le pouvoir exécutif use de son initiative dans un autre sens que celui des masses. Deux indices graves et tout récens confirment ce qui avait été préjugé à cet égard sur le développement rapide et irrésistible des volontés populaires.

Le conseil d’état zuricois avait répondu catégoriquement et négativement aux propositions de Berne, qui demandait qu’on votât en diète l’expulsion formelle des jésuites ; mais tout porté vers la modération et pour la légalité qu’il se montrât dans cette réponse, le vorort n’était pas moins très découragé, peu sûr de ses volontés à venir : il sentait derrière lui un peuple très calme encore, mais aussi très décidé dans les sentimens qui le menèrent à la bataille de Cappel. Déjà même l’influence de cette question confessionnelle, la défiance qu’elle jette sur les intentions des conservateurs, s’étaient fortement marquées dans les élections. Cependant, comme les deux partis dans le canton de Zurich sont très bien enrégimentés, disciplinés, à peu près également puissans (et même, avant l’affaire des jésuites, le parti conservateur l’emportait décidément depuis quelques années déjà), celui des deux qui pressentait sa défaite ne voulut rien négliger ; avec beaucoup d’ensemble et de sagesse, il organisa aussi des adhésions à sa politique et des pétitions, des manifestations populaires enfin, dans la plus favorable acception du mot. Ce fut ainsi qu’il se présenta au grand conseil, bien appuyé, avec de bons orateurs et de bonnes raisons, mais pour y être vaincu à la majorité de 8 voix. Zurich votera donc comme Berne en diète, en dépit de ses hommes les plus marquans. Rien au monde n’est capable de dépopulariser les conservateurs comme de vouloir conserver les jésuites : ils ont beau avoir d’excellentes raisons d’indépendance cantonale à alléguer ; l’instinct des masses est trop impétueusement averti. En ce moment, les libéraux de Zurich sont très opposés aux volontaires d’Argovie et marcheraient plutôt contre eux qu’avec eux ; mais s’il n’y avait aucun espoir de faire résoudre la question par la diète, on ne retiendrait pas plus les Zuricois que les Argoviens et les Bernois. Quant aux moyens d’exécution proposés par Berne, ils sont du ressort de la prochaine diète extraordinaire. Nous dirons seulement, en passant, que, dans la pensée de Berne, ces moyens seraient très lents et de nature à laisser tout le temps nécessaire aux retours et à l’obéissance.

Il est un second exemple, plus frappant encore peut-être, de l’influence prépondérante qu’a prise à l’instant cette question sur l’esprit populaire : c’est ce qui se passe, à l’heure qu’il est, dans le canton de Vaud.

Modéré, paisible et tolérant, le plus un de tous les cantons et presque aussi centralisé que la France, le canton de Vaud offre, pour ainsi dire, un modèle de république et à la démocratie suisse son meilleur argument. Il avait acquis beaucoup d’influence dans la confédération par cet état de choses envié de tous, aussi bien que par son attitude à la fois droite et conciliatrice ; il passait surtout pour donner peu de prise à l’agitation, même dans la question des jésuites. Là aussi cependant, le conseil d’état, très libéral d’ailleurs,