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paix y fut sincère et durable, et le bon accord ne cessa de régner entre la ville et son seigneur.

Ainsi, lorsque, vers 1150, Beaudouin II entreprit, comme nous le supposons, la reconstruction de sa cathédrale, il existait à Noyon une commune depuis long-temps établie et consacrée par une paisible jouissance, mais placée en quelque sorte sous la tutelle de l’évêque. C’est le reflet de cette situation que nous présente l’architecture de l’église. Le nouveau style avait déjà fait trop de chemin à cette époque pour qu’il ne fût pas franchement adopté, surtout dans un édifice séculier et dans une ville en possession de ses franchises ; mais en même temps le pouvoir temporel de l’évêque avait encore trop de réalité pour qu’il ne fût pas fait une large part aux traditions canoniques[1]. Nous ne prétendons pas que cette part ait été réglée par une transaction explicite, ni même qu’il soit intervenu aucune convention à ce sujet ; les faits de ce genre se passent souvent presque à l’insu des contemporains : que de fois nous agissons sans nous douter que nous

  1. Il n’en était pas de même à Senlis, ni par conséquent à Saint-Leu d’Esserent. Le territoire du diocèse de Senlis faisait partie du domaine royal. L’émancipation communale et laïque s’y était accomplie librement et sans restriction, et en ne laissant à l’évêque qu’une faible part de pouvoir temporel.
    A Noyon, au contraire, l’évêque avait, comme seigneur féodal, un pouvoir très étendu : il était à la fois grand vassal de la couronne, en vertu de fiefs immédiats réunis à son siège, et seigneur indépendant du Vermandois, qui relevait de son évêché. Comme grand vassal, il était un des pairs ecclésiastiques, et portait le baudrier au sacre du roi de France ; comme suzerain du Vermandois, il traitait d’égal à égal avec le pouvoir royal. Aussi, lorsqu’en 1191, après la mort de Philippe d’Alsace, comte de Vermandois, Philippe-Auguste eut réuni le Vermandois à la couronne, il fallut qu’il transigeât avec l’évêque de Noyon. Le roi et le prélat se donnèrent des lettres doubles ou lettres d’échange, scellées de leurs sceaux, en date du mois d’août 1213, par lesquelles, d’un côté, Étienne, évêque de Noyon, déclare qu’il remet et quitte au roi Philippe l’hommage dû à son église pour le conté de Vermandois, et le roi, en échange, lui cède les terres et fiefs qu’il possédait à Lassigny et à Coye. Dans ce marché, c’était l’évêque qui gagnait du pouvoir temporel. Est-ce seulement à partir de cette époque, et comme une compensation de plus accordée par le roi, que les évêques de Noyon prirent le titre de comte ? le portaient-ils, au contraire, trois ou quatre siècles auparavant, comme semble l’indiquer une charte du roi Eudes de 893 ? D. Mabillon est de ce dernier avis ; Colliette, l’auteur des Mémoires sur le Vermandois, soutient l’opinion contraire. Peu nous importe ; ce qu’il nous suffit de constater, et ce qui est parfaitement établi, c’est que le pouvoir temporel des évêques de Noyon était considérable, et que, même au milieu de la crise du XIIe siècle, au lieu de déchoir, il ne fit que se fortifier. (Voir les Recherches historiques de M. Lafons, pag. 22 à 27 ; l’Art de vérifier les dates, t. IX, pag. 184-193, et t. XII, pag. 201. — Voir ci-dessus la note de la page 63. Note 4, parag. VIII)