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invétérée des Asiatiques pour les Russes, et les réduisant à regarder comme des protecteurs nécessaires ceux qu’elle appréhendait déjà pour sa part comme des rivaux naturels. C’est à Londres même que le gouvernement de Saint-Pétersbourg prépare et dispose les coups qu’il dirige sur l’Orient ; c’est par l’ascendant que l’Angleterre lui abandonne en Europe qu’il se trouve si fort à l’aise pour la gêner et la compromettre en Asie. Il n’est pas jusqu’à cet inévitable progrès de l’unité administrative dont on se ressent aujourd’hui à Saint-James comme ailleurs qui ne semble s’opérer là tout à point pour faciliter l’intervention russe dans les affaires anglaises, et l’on dirait que le ministère ne s’est subordonné la compagnie des Indes en 1833 que pour aller en 1834 se jeter lui-même avec elle au-devant des insinuations et des piéges d’une diplomatie étrangère.

Un cabinet qui subit tous les sacrifices et consent à toutes les extrémités par le désir de se concilier ou par la peur de gâter une alliance trop onéreuse, qui permet qu’on prenne sur lui du dehors tous les avantages d’une politique résolue sur une politique indécise, qui, faute de savoir calculer au plus juste l’appui dont il a besoin dans ses relations extérieures, se laisse intimider par l’empire absolu d’une liaison trop exclusive, qui, faute aussi de savoir envisager d’un front assuré les conséquences des choses, aggrave à la fois ses embarras et ses torts, perdant plus, à force de reculer devant l’ennemi, qu’il ne risquait en lui barrant le passage de pied ferme ; pour tout dire enfin, le gouvernement russe parlant en maître impatient ou moqueur, poussant toujours droit devant lui, pressant les évènemens et précipitant ses menées sans se soucier beaucoup ni qu’elles déplaisent ni qu’on lui résiste ; le gouvernement britannique s’humiliant dans tous ses discours et dans tous ses actes, évitant constamment l’énergie des mesures directes, et, pour mieux les décliner, pour mieux garder les tristes ressources d’une position mitoyenne, ébranlant avec ses propres mains l’avenir de ses colonies d’Orient : voilà le tableau peut-être assez imprévu que ces négociations vont quatre années durant développer sous nos yeux. Puisse-t-il du moins profiter à qui de besoin !


I.

Voyons d’abord quelle était en 1834 la situation de la Russie et de l’Angleterre dans les deux pays devenus alors tout d’un coup le théâtre et l’objet de leurs transactions ; nous saurons mieux combien l’une