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d’elles, c’était par la séduction de quelque grande idée commune autour de laquelle on aurait osé les rallier, c’était par un appel fait à propos à des sentimens depuis long-temps étouffés, à des espérances qu’on eût crues impossibles, aux souvenirs, aux instincts d’une liberté vengeresse. Les Russes tout seuls auraient été mal venus à prêcher cette croisade ; on les détestait partout, pour eux-mêmes, pour leur nature, pour leur sang ; c’était une de ces antipathies qui ne jettent de si profondes racines que dans des mœurs primitives, chez des peuples encore simples. On peut l’imaginer par la constance avec laquelle les Perses se sont défendus, par la résistance acharnée des Turcomans et des Circassiens.

Au commencement de 1834, ces haines nationales n’avaient rien perdu de leur vivacité originelle. En vain l’Angleterre, liée par ses relations européennes, avait-elle en 1814 abdiqué au profit de la Russie presque toute l’autorité politique dont elle jouissait à la cour de Téhéran ; en vain même, au traité de 1828, avait-elle prétendu se dégager des obligations consenties en 1814, essayant ainsi, pour s’épargner de nouveaux ennuis, d’abolir d’un coup la promesse d’alliance défensive qui jusque-là l’unissait à la Perse ; la Perse était et voulait rester tout entière à l’Angleterre, et, par la Perse, celle-ci savait à bon compte tenir. en échec les tribus toujours remuantes de l’Afghanistan. Il y avait là double sûreté. C’était d’ailleurs le temps où les chefs de la loi, dans une sorte de consultation très remarquable, proclamaient hautement l’amitié des Anglais comme une bonne fortune pour le pays, comme un avantage positif pour la religion ; c’était alors aussi qu’ils dénonçaient les partisans de la Russie comme des renégats et des traîtres. Les Anglais avaient la confiance du prince, l’affection du peuple, le commandement de l’armée ; ni l’armée, ni le peuple, ni le prince, ne pouvaient souffrir la vue des Russes[1]. Rien n’empêchait d’espérer qu’une politique meilleure ne les en délivrât tout-à-fait ; même après le traité de 1828, rien n’empêchait qu’on ne ressuscitât le droit de protection garanti par le traité de 1814 pour disputer le gouvernement absolu des affaires de Perse aux envoyés de Saint-Pétersbourg, pour les éloigner surtout, pour les écarter à jamais des

  1. De leur propre aveu, les Russes étaient détestés ; l’un de leurs agens rapporte qu’un voyageur russe étant tombé malade à Téhéran, l’envoyé d’Angleterre consentit seul à le retirer chez lui, et même au grand déplaisir du shah, qui ne voulait pas lui permettre de résider dans la ville. Une autre fois, les habitans du quartier où logeait la mission anglaise envoyèrent prier qu’on n’y reçût pas si souvent les officiers de la mission russe.