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laisser jamais de traditions avouées ; l’autre empire toujours, et trop souvent fait école. C’est cette indécision, cette timidité, cette obstination acharnée à vouloir se contenter du moins pour céder le plus, c’est ce funeste optimisme toujours enclin à supposer de bonnes intentions dans des actes hostiles, à prodiguer les complimens et les tendresses pour peu qu’on n’y réponde point par une inimitié déclarée ; c’est cette ridicule frayeur des partis pris, cet amour exagéré des biais et des accommodemens ; c’est aussi d’autre part cette activité stérile qui se remue pour avoir l’air d’agir, c’est cet empressement malencontreux à chercher de petits exploits pour compenser l’absence des grands, c’est tout cela qui, dans cette lutte de quatre années, a mis l’Angleterre si fort au-dessous de la Russie ; ce sont là les causes de cette infériorité si soigneusement dissimulée malgré les marques très visibles auxquelles on peut la reconnaître dans la correspondance des deux cabinets ; ce sont ces marques même que nous allons maintenant rechercher.

Soumise au parlement dans la session de 1839, la correspondance que nous étudions commence, dans les premiers jours de 1834, à l’occasion de la mort d’Abbas-Mirza, l’héritier présomptif du trône de Perse, le véritable représentant du pays ; il s’agit de lui donner un successeur avant que le vieux roi son père le suive au tombeau. Il semblait bien difficile qu’en un tel choix les deux grandes puissances protectrices pussent obéir aux mêmes inclinations, qu’une seule décidât tout à l’avance, et qu’aussitôt proclamé le favori de l’une devînt le favori de l’autre. En politique surtout, les antécédens obligent quelquefois plus qu’on ne voudrait, et les situations respectives des peuples ne changent pas toujours au gré des hommes d’état. Or, les deux peuples se trouvaient ici, par nature et par nécessité, dans une perpétuelle contradiction de vues, de penchans et d’intérêts. Qu’arrive-t-il pourtant ? La question était grave et portait loin. « Aussi long-temps que l’Angleterre gardera les Indes et la Russie ses armées, aussi long-temps l’indépendance et l’intégrité de la Perse resteront un point essentiel, un élément vital pour la conservation des Indes anglaises, un obstacle formidable à la marche des armées russes[1]. » Au fond, c’était là vraiment l’affaire dont on allait traiter ; la grande ressource qu’il fallait se réserver contre le czar, l’enjeu de cette espèce de bataille électorale que l’Angleterre avait à risquer, c’était bien « l’indépendance et l’intégrité de la Perse. » Par une inexplicable faiblesse,

  1. M’Neill’s Progress of Russia in the East, p. 6.