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vienne ouvertement proclamer que celui-ci ne saurait rien faire qui n’ait son agrément ; c’est qu’il s’établisse entre les agens des deux grandes puissances un concert si régulier, si patent, si manifeste, qu’on ne puisse jamais supposer qu’elles sont sourdement aux prises. Ce fut là ce que la Russie obtint de l’Angleterre, ce fut là l’origine de tous les revers dont nous racontons l’histoire, c’est là comme la clé de cette étroite chaîne tendue entre les deux cabinets, traînée par l’un, serrée par l’autre. Celui de Saint-James voulait absolument qu’on le crût en Europe l’allié de celui de Saint-Pétersbourg ; il le laissait trop voir ; de pareils empressemens se paient cher ; rien n’est si coûteux qu’une amitié qu’on a peur de perdre.

Voici l’extrait de la dépêche communiquée par M. de Medem au Foreign Office, le 22 août 1834 :


« Nous nous attendons à voir les représentans de l’Angleterre et de la Russie en Perse suffisamment autorisés pour agir de concert dans un esprit de paix et d’union. L’importance qu’il y aurait de les pourvoir à cette fin d’instructions correspondantes ne saurait être diminuée par le seul fait de la nomination du prince héréditaire. »


On devait trop gagner à faire vie commune avec l’Angleterre pour y renoncer si tôt, et c’eût été dommage de rompre sans en avoir rien tiré de plus ; mais on pouvait se rassurer : lord Palmerston n’était pas d’humeur assez inquiète pour s’alarmer de si peu. Le 5 septembre, il charge M. Bligh de témoigner sa joie des bonnes nouvelles qu’il a reçues, et d’exprimer au cabinet russe toute la reconnaissance de l’Angleterre, qui pourtant ne se doute pas de ces nouvelles intelligences de son gouvernement. C’est à l’ombre et dans le secret, c’est en l’absence et sans l’avis des chambres législatives à peine informées cinq ans plus tard, que le ministre d’un pays constitutionnel prend sous sa responsabilité d’accorder à des exigences étrangères l’étroite alliance dont voici la règle :


« Des instructions ont été envoyées au résident anglais de Téhéran pour qu’il ait à communiquer confidentiellement avec le représentant russe par rapport aux intérêts communs des deux pays[1]. »


On ne pouvait guère céder davantage à cet ascendant mystérieux qui de Saint-Pétersbourg pesait déjà sur Saint-James. Aussi lord Palmerston semble-t-il vouloir envelopper quelques réserves dans cette abnégation même avec laquelle il approuve toutes les vues de ses dangereux

  1. Dépêche de lord Palmerston à M. Bligh, 5 septembre 1834.