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que le shah trouverait à ne point trop retarder l’expédition d’Hérat. Le motif qu’il a donné pour qu’on dépêchât si fort cette entreprise, c’est la crainte des obstacles que le gouvernement anglais y pourrait apporter, vu son désir bien connu de restaurer un jour ou l’autre la monarchie des Afghans. Je m’étais jusqu’ici borné sur ce sujet à l’expression pure et simple des recommandations pacifiques dont j’avais été chargé par le gouvernement de sa majesté ; mais, après avoir découvert que le ministre russe était sur le point de tenir ou avait déjà tenu un langage tout-à-fait contraire, je me suis déterminé à être plus explicite avec les ministres du shah, me hasardant à en user ainsi par suite de la connaissance que j’avais personnellement des vues générales de l’administration britannique relativement à la Perse et à l’Afghanistan. En conséquence, j’eus hier une conférence avec Haji-Mirza-Aghassi et avec le ministre des affaires étrangères ; je leur rappelai qu’ils avaient déclaré que les droits de souveraineté du shah s’étendaient dans l’Afghanistan jusqu’à Ghizni, et je les informai que la position officielle où je m’étais trouvé placé dans le bureau des Indes[1] me mettait à même de leur dire en toute confiance que les autorités britanniques les verraient avec grand déplaisir poursuivre en Afghanistan des plans de conquêtes trop lointaines. »


Merveilleux effet de l’indécision ou de la peur ! Laissé sans instructions en face de circonstances dont on savait pourtant la gravité, le représentant du cabinet anglais ose à peine tenir au cabinet persan le langage inefficace d’un simple particulier ; ce n’est point au nom de son gouvernement et du droit des traités, c’est en se couvrant de ses souvenirs personnels, c’est à l’aide de cette vague et chétive autorité qu’il prétend décourager des ambitions dont il n’a pas été maître d’empêcher l’essor. Et voyez quel singulier contraste ! l’ambassadeur anglais ne sait rien, n’a rien à dire des intentions de ceux qui l’ont envoyé ; il a gardé par devers lui les appréhensions naturelles d’un conseiller de l’India-Board ; il vit de ses réminiscences d’administrateur ; il est en dehors de cette politique courante où la diplomatie asseoit son terrain. L’ambassadeur russe au contraire connaît non-seulement ce qu’on fait à Saint-Pétersbourg, mais aussi ce qu’on veut faire à Londres. Il annonce en 1836 la guerre de Kaboul, à laquelle le secrétaire-général de la compagnie des Indes ne croyait pas encore en 1837[2] ; il apprend à la Perse qu’il n’y a point à s’occuper des insinuations pacifiques de l’Angleterre au sujet de l’Afghanistan, puisque l’Angleterre n’aspire qu’à bouleverser le pays dont elle se dit la protectrice. M. Ellis cependant ne peut opposer à son audacieux

  1. Board.of control.
  2. Lettre de M. M’Nanghten, 10 avril 1837.