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en face des manœuvres toujours plus actives de la Russie et du progrès toujours plus menaçant de la Perse.

En effet, dans quel moment devait arriver cette lettre du 12 février ? Le shah s’est remis en campagne : il a de nouveau marché sur Hérat ; M. M’Neill n’a pu se résigner à rester plus long-temps immobile. Sur l’ordre fort indirect du gouverneur-général de l’Inde, il se rend lui-même au camp d’Hérat (8 mars 1838) pour forcer les Persans à suspendre les hostilités. Il presse, il menace ; le shah s’excuse comme il s’excusait auprès de M. Ellis. Il n’est pas libre de ses volontés, il n’est pas maître de ses mouvemens. « Il craindrait de donner ombrage au gouvernement russe en abandonnant la place avant qu’elle fût prise. S’il eût su qu’il courait risque de perdre l’amitié du gouvernement anglais, il n’en serait certainement pas venu jusque-là. Si M. M’Neill était à même de lui annoncer que l’Angleterre l’attaquerait au cas où il ne se désisterait pas, il se désisterait tout de suite. Il fallait seulement qu’on lui parlât au nom de l’Angleterre de manière à le rassurer contre la Russie. » M. M’Neill faisait de son mieux à lui tout seul, et gagnait du temps ; il allait des assiégeans aux assiégés, de la ville au camp, portant, échangeant, dictant les concessions des deux partis. Il avait déjà posé les préliminaires de la paix ; mais arrivent alors à la fois devant Hérat et l’ambassadeur russe et la dépêche anglaise du 12 février. La paix est rompue. Le comte Simonich reprend du jour au lendemain l’empire qui lui échappait, M. M’Neill perd toute autorité ; la lettre de lord Palmerston lui retire tout moyen d’agir. Pas un mot à l’adresse de la Russie ; rien sur la question d’Hérat ; toute cette grande affaire subordonnée à l’arrangement d’une difficulté secondaire ! I delay sending further instructions ! M. M’Neill n’avait plus rien à dire.

Son crédit baissa rapidement quand on le vit si mal soutenu ; les déplaisirs et les affronts de toute sorte tombèrent bientôt sur les Anglais. La Russie exigea qu’on renvoyât les officiers qui se trouvaient encore au service du shah, et, par une de ces coïncidences malheureuses auxquelles lord Palmerston s’exposait toujours à force d’égards pour des amis douteux qui ne répondaient jamais qu’avec de fâcheux procédés, les officiers anglais furent chassés du camp d’Hérat au moment où M. M’Neill recevait l’ordre de les laisser à la disposition du shah tant qu’il ne serait pas lui-même obligé de quitter le territoire persan[1].

  1. Dépêche du 10 mars 1838.