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même du chef afghan et pour lui éviter sa ruine. Or, celui-ci avait su jusque-là se défendre tout seul, et l’on se rendit si suspect, on s’employa si brutalement pour le convertir à la paix, qu’on l’amena forcément à la guerre, à la guerre contre les Anglais et non plus contre les Sykhs. Un si fâcheux dénouement n’était point de la faute de Burnes : il l’éloigna tant qu’il put ; mais de nouveaux acteurs, apportant de nouvelles intrigues sur un théâtre réservé naguère à l’influence britannique, avaient ainsi subitement exaspéré les inquiétudes du gouvernement de l’Inde, et grossi ses exigences avant même que les ordres de Saint-James le précipitassent aux dernières extrémités. Les agens russes paraissaient pour la première fois dans le Kaboul ; ils allaient y jouer le même rôle qu’en Perse, et cette approche inattendue déconcertait d’autant plus qu’on osait moins s’en plaindre à qui devait en répondre.

Burnes entre à Kaboul au mois de septembre 1837 ; il est reçu de la manière la plus honorable et la plus flatteuse. Mais au mois d’octobre arrive à Kandahar un agent de la Perse avec des présens et des robes pour Dost-Mohammed ; au mois de décembre, un agent russe, le lieutenant Vicovitch, s’introduit à Kaboul même, sous prétexte d’apporter la réponse de l’empereur à cette lettre qu’on disait écrite par Mohammed au commencement de 1836.

L’ouvrage de Burnes est ici très précieux ; il complète et explique les documens publiés par le gouvernement anglais, et l’on y retrouve fort à point le reste des dépêches mutilées tout exprès dans l’édition officielle pour faire croire à l’initiative malveillante et à l’hostilité déterminée du khan de Kaboul. Il fallait en effet, quand on en usait avec lui d’une si dure façon, qu’on eût de bonnes raisons de le prendre pour ennemi. La meilleure, c’est qu’on était violent en Orient parce qu’on voulait ménager les Russes en Europe ; mais celle-là ne pouvait guère se dire, et Burnes, qui ne la connaissait pas, avait certifié par les témoignages les plus positifs les bons sentimens de Mohammed à l’égard des Anglais Le malheureux Burnes était, connue M. M’Neill, un homme parfaitement instruit des habitudes et des calculs de la politique orientale, des idées et des passions de tous ces princes demi-barbares dont l’Angleterre et la Russie se disputaient la conduite avec des chances si différentes : Burnes et M’Neill étaient de plus des esprits justes et des caractères solidement trempés. Or, par une remarquable coïncidence, chacun arrivait de son côté à des conclusions analogues : l’un soutenait que la crainte seule soumettrait la Perse à la Russie ; l’autre, que la crainte seule soumettrait l’Afghanistan à la