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Perse[1]. Tandis que M’Neill assurait qu’il suffisait de la décision bien arrêtée de l’Angleterre pour maintenir le shah dans son alliance, Burnes affirmait qu’il faudrait qu’elle poussât bien rudement pour obliger le khan de Kaboul à rompre avec elle. Et voici justement que le ministère britannique, qui avait hésité trois grandes années avant d’intervenir officiellement en Perse, brusque en moins de six mois une intervention rigoureuse dans les affaires de l’Afghanistan. C’est que sa précipitation avait même cause que ses lenteurs ; elle en était le fruit et la punition : il lui fallait enfin une guerre à Kaboul pour n’avoir pas su demander à Saint-Pétersbourg les justes explications qu’on lui eût certainement données, s’il avait moins attendu et moins tergiversé. Il n’y avait pas là deux politiques ; il n’y en avait qu’une, la politique de l’équivoque et de la faiblesse qui recule le plus possible devant les difficultés, et les franchit à contre-temps en en créant d’autres, parce qu’il lui manque le sang-froid qui les résout à propos.

En Afghanistan comme en Perse, le ministère, soit directement, soit par l’intermédiaire du gouverneur de l’Inde, n’agissait ainsi qu’en opposition permanente avec les rapports de ses envoyés ; aussi plus tard brouillait-il ceux de M’Neill et tronquait-il ceux de Burnes. Écoutons seulement Burnes lui-même rendre justice aux véritables dispositions du khan de Kaboul. Il écrivait, le 20 décembre 1837, au secrétaire-général de la compagnie des Indes :


« Monsieur, j’ai l’honneur de vous transmettre, pour en informer son excellence le gouverneur-général de l’Inde en son conseil, la nouvelle très extraordinaire que voici : il est arrivé hier dans cette ville un agent qui vient directement de la part de l’empereur de Russie. Dans une circonstance d’une nature si imprévue, je n’ai pas voulu vous envoyer de courrier avant d’être mieux informé. Hier même au matin, Dost-Mohammed m’a rendu visite pour me demander conseil, disant qu’il s’en rapportait à moi dans cette occasion ; qu’il ne voulait avoir affaire avec aucune autre puissance que l’Angleterre ; qu’il ne voulait recevoir aucun agent étranger tant qu’il lui resterait l’espoir de se concilier notre sympathie ; qu’il était enfin tout prêt à chasser l’agent russe, à l’arrêter en route, à le traiter comme on l’entendrait. C’est à ma requête qu’on laisse le lieutenant Vicovitch pénétrer jusqu’ici. »


Rien n’était plus rassurant que cette dernière partie de la dépêche ; le ministère anglais l’a prudemment supprimée. En publiant ses documens après la guerre faite, il ne voulait pas qu’on vît qu’il eût

  1. The Afghan nation will never submit to Persia but by fear. — Lettre d’Alexandre Burnes en date du 18 juin 1838, supprimée dans le recueil officiel.