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britannique ; par deux fois, on l’a laissé retomber. D’une époque à l’autre, le ministère avait changé, le silence restait le même. Sir Robert Peel répondait encore en 1813 à la motion de M. Roebuck par ces paroles empreintes d’une réserve trop significative : « Il n’est point, je le dis maintenant, il n’est point de l’intérêt public de présumer que la Russie n’ait pas alors été sincère dans les assurances d’amitié qu’elle nous donnait. » C’était tout son discours à cet endroit-là.


IV

Le gouvernement anglais avait dissimulé de tout son pouvoir cette humiliation continue de sa diplomatie ; nous l’avons racontée. Peut-être trouvera-t-on qu’en remettant au jour ces blessures qu’il avait si soigneusement cachées, nous n’avons pas assez triomphé de sa défaite ; peut-être, dans ce long récit de ses fautes, aurons-nous semblé plus attaché à développer toute l’astuce du vainqueur qu’empressé d’étaler le malheur du vaincu, plus disposé à nous inquiéter de l’un qu’à nous féliciter de l’autre. C’était en effet notre pensée. Nous savons qu’auprès d’un certain nombre de théoriciens politiques l’alliance de la Russie est pour la France une sorte de contre-poids indispensable qui la maintient en équilibre et fait sa force contre l’Angleterre. Nous savons que l’Angleterre elle-même affecte de garder cette espèce de balance dans ses amitiés, et rehausse pour nous le prix de la sienne en nous montrant à propos qu’elle peut au besoin se tourner tout entière d’un autre côté ; mais nous croyons que l’Angleterre et la France ne jouent ainsi qu’un jeu de dupes, diminuant à plaisir les chances sérieuses qui pourraient les réunir dans un accord pacifique pour affermir d’autant un ennemi commun qui profite assidûment de leurs divisions. Nous n’ignorons pas tous les bénéfices qu’on peut nous promettre comme les résultats naturels de l’abaissement des Anglais par les Russes : mais nous craignons bien qu’une fois ce grand abaissement commencé il ne s’arrêtât qu’après avoir gagné plus loin. Nous nous rappelons tous les titres de la France en Orient, tous les noms français qui s’y sont illustrés, les voyageurs Chardin et Tavernier, les administrateurs Dupleix et La Bourdonnaye, les généraux Allard et Ventura ; nous regrettons qu’on fasse si peu d’usage de tant de souvenirs qui se perdent, de tant d’influences qu’on aurait pu ressusciter ou féconder ; nous voyons avec douleur les restes caduques de notre ancien empire dans les Indes, la solitude et la ruine de Pondichéry, Pourtant, quoi que l’avenir nous réserve, peut-être préférons-nous