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qu’on estimerait insolubles, si elles n’avaient été si merveilleusement surmontées ; c’est dans ces pages judicieuses qu’on suit à l’œuvre le roi politique, livrant dans son cabinet de plus rudes combats que sur le champ de bataille, couvrant par sa loquacité gasconne et par sa franchise calculée sa prodigieuse entente du caractère, des intérêts et des faiblesses de chacun.

À tout moment, huguenots et catholiques le menacent d’une défection éclatante. Les premiers, indignés des promesses du roi, voudraient que leur chef se rejetât franchement dans les bras des seuls hommes sur lesquels il pût compter, et fit un énergique appel à Genève, à l’Angleterre, à la Hollande et à toutes les puissances protestantes dont les intérêts politiques se confondent avec ceux de la réforme ; les autres se plaignent avec amertume que les six mois réclamés par le monarque soient écoulés sans que son abjuration ait été consommée, et s’alarment en voyant le saint-siège persister à repousser ses ouvertures et à le noter d’indignité. Il n’est pas de jour où les deux partis ne soient prêts à tirer l’épée, et la haine était poussée à ce point au sein de l’armée royale, au rapport du duc de Sully, que le premier soin après la bataille était de séparer les cadavres des morts, afin qu’ils ne s’imprimassent pas l’un à l’autre une flétrissure dans la tombe.

Les préoccupations personnelles étaient plus vives encore que les soucis d’une autre nature. Il n’était pas un commandement de place à donner, une compagnie à pourvoir, qui ne rouvrît la lutte entre les catholiques et les huguenots. Aux premiers, Henri IV assurait toutes les bonnes et lucratives positions ; il dédommageait les seconds par des témoignages charmans de regrets et de secrète confiance. Reçu froidement aux levers du roi, Rosny est admis la nuit dans sa tente, et l’homme pour lequel aucune négociation n’a de mystère ne réussit pas même à obtenir le gouvernement d’une bicoque ! À bout de désintéressement et de patience, Rosny lui-même s’éloigne, pour ne pas dévorer plus long-temps, en face de ses ennemis, des refus qui lui font douter du cœur de son ami et de la justice de son roi.

Personne ne fut plus souvent condamné à être ingrat, et ne s’en acquitta de meilleure grace. Épuisant sans réserve le dévouement des siens, Henri échappait par des mots heureux à la dette de la reconnaissance, et appliquait avec bonheur un système qui aurait paru odieux chez un autre. Ce prince prit à la ligue tous les membres de son cabinet, la plupart des généraux de ses armées et des grands dignitaires de sa cour ; il traita avec tous ses ennemis, au préjudice de