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la Méditerranée, il y a un contre-poids, c’est celle de voir la Grèce absorbée par la Russie. Un jour viendra peut-être où cette dernière crainte l’emportera sur l’autre, où ce dernier danger paraîtra plus grave que le premier. Ce jour-là, rien n’empêchera la France d’agir de concert avec l’Angleterre, et la Grèce en profitera. Malheureusement, malgré toutes les protestations contraires, il ne parait pas que l’Angleterre ait encore renoncé à l’espoir de concilier les deux choses qui lui plaisent le plus en Orient, l’existence de la Grèce et son impuissance, son indépendance et sa faiblesse. Il n’est pas fort surprenant dès-lors que sa politique et celle de la France, à peine unies, tendent à se séparer. Il n’est pas surprenant qu’entre les ministres des deux pays, quels qu’ils soient, l’entente ne soit jamais que superficielle et passagère.

Je n’en persiste pas moins à croire que le parti dit anglais compte dans ses rangs beaucoup de bons citoyens, d’hommes éclairés, d’amis sincères de l’ordre et des libertés publiques ; je n’en persiste pas moins à regretter les circonstances fâcheuses qui, pour le moment, les éloignent des affaires. Pour y revenir honorablement, ils n’ont, ce me semble, qu’à se défendre des mauvais conseils et qu’à prouver clairement que désormais ils s’appartiennent à eux-mêmes. Ils rachèteront ainsi les fautes qu’ils ont commises, et reprendront une place importante dans le parti national.

Quant au parti qui a porté successivement ou simultanément le nom de parti russe, ghivernitique, napiste, philorthodoxe, j’ai reconnu, je reconnais encore, qu’il tient au sol grec par des racines nombreuses et profondes. J’ai reconnu, je reconnais encore qu’en majorité, il n’a point le dessein déplorable, le dessein coupable de sacrifier l’indépendance nationale ; mais il n’en reste pas moins incontestable qu’à toutes les époques, au sein du parti napiste, il s’est trouvé des hommes qui, soit parce qu’ils désespéraient de l’avenir de la Grèce, soit par d’autres motifs, se sont prêtés aux vues de la Russie. Or, qui ne sait à Paris, comme à Londres, comme à Vienne, quelles sont en Orient les vues de la Russie ? Qui ne sait qu’après avoir aidé les Grecs à secouer le joug des Turcs, cette grande et ambitieuse puissance a toujours aspiré, aspirera toujours à ranger les Grecs sous sa loi ? Qui ne sait que, pour parvenir à son but, tous les moyens lui paraissent bons, même ceux dont une politique scrupuleuse devrait toujours s’abstenir ? Rappeler tout cela, ce n’est point, comme on le prétend, poursuivre la Russie d’une haine systématique, c’est envisager et comprendre ses desseins. Que l’on discute ensuite sur telle ou telle