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« Prie donc pour que bientôt, aux bords du Lahn, l’herbe nouvelle joue et serpente sur un tombeau. La place de ton père est ici, près de Hutten. Fille de Jourdan, prie, et sois consolée ! »


Assurément, de tels vers, de telles plaintes, animées par un sentiment si légitime, doivent servir énergiquement les intérêts les plus vifs de la cause libérale. La question de la publicité des tribunaux est une de celles que le parti constitutionnel doit ramener sans cesse, avec force, avec persévérance, avec la ferme volonté d’obtenir justice ; or, ces peintures simples, vraies, qui ne sont que l’expression sentie de douleurs hélas ! trop réelles, aideront beaucoup à populariser cette cause sacrée. Quand le poète aura touché les cœurs, quand il aura porté partout ces tableaux lamentables, le devoir des jurisconsultes sera plus facile ; ils trouveront dans le sentiment public une sympathie plus directe, une plus vigoureuse assistance. Voilà un bon exemple, une excellente direction à suivre, et, dans le cercle de la poésie politique, le plus heureux, le plus efficace, le plus noble emploi de la Muse.

Je citerai une autre ballade d’un intérêt moins élevé, mais qui, par sa forme vive et tragique, signale bien douloureusement aussi les vices d’une législation inhumaine. Que les tribunaux soient secrets et dépendans, que des procédures irrégulières puissent se conduire dans les ténèbres et échapper au contrôle de l’opinion, que l’accusé ne soit pas protégé par la publicité des débats et qu’il ne trouve pas dans le pays un tribunal supérieur, je veux dire la conscience publique, vigilante, attentive et prête à juger le juge, c’est là sans doute un mal épouvantable et auquel je ne voudrais pas comparer le mal dont je vais parler ; mais si, dans certaines parties de la législation, dans la police des campagnes, il est permis à l’obscur agent du pouvoir de se faire immédiatement justice, d’être à la fois et sur-le-champ juge et bourreau, de punir à main armée celui qui enfreint la loi, comment ne pas s’indigner d’une telle barbarie ? Comment ne pas flétrir en les signalant ces abominables traditions de la justice féodale ? L’artisan qui n’a plus d’ouvrage, celui de la Silésie, par exemple, le tisserand dont le fils invoquait tout à l’heure le bon Rübezahl, le pauvre paysan dont la famille meurt de faim sort de sa hutte, le fusil sur l’épaule ; il entre dans la forêt, il voit un sanglier et tire. Souvent ce sera le fermier, le laboureur, dans son propre champ. S’il chasse en fraude, sans doute il est coupable, et l’amende ou la prison le punira. Cependant le garde l’a entendu, il accourt, et, comme le braconnier se sauve à toutes jambes, voilà le forestier qui ajuste le