Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet infame trafic de la traite, qui non-seulement rendait chaque jour plus effrayante la supériorité numérique de la race noire sur la race blanche, mais leur amenait d’implacables ennemis jusque dans le foyer domestique. Le général O’Donnell ne voulut rien entendre ; récemment débarqué dans l’île, le général n’avait pu se dégager encore de cet incroyable préjugé espagnol qui décida les cortès, si éminemment libérales pourtant, de 1812 et de 1820, à maintenir le trafic des noirs. Jusque dans ces derniers temps, on s’est imaginé en Espagne que, si la population blanche de Cuba n’avait rien à craindre de la population noire, elle n’aspirerait plus qu’à l’indépendance. Voilà pourquoi, sous l’ancien régime, on ouvrait à la Havane, à Matanzas et dans tous les ports de l’île, ces nombreux asientos où, à toutes les saisons de l’année, se vendaient des milliers de nègres ; voilà pourquoi les assemblées constitutionnelles elles-mêmes se prononçaient hautement pour la traite, qui, en dépit des conventions de 1817, de 1835, de toutes les stipulations conclues avec l’Angleterre, en dépit du droit de visite, de la continuelle croisière entretenue par la Grande-Bretagne dans les mers d’Afrique, de la répression sévère exercée par le tribunal mixte de Sierra-Leona et par celui qui siège, à la Havane, étale effrontément aujourd’hui même sa marchandise humaine sur toutes les côtes de la colonie. En 1841, le gouvernement de Madrid ne daignait pas même répondre aux vives doléances des principales corporations de la Havane, — le tribunal de commerce, l’ayuntamiento, la junte de fomento, une association de négocians et de planteurs qui a pris l’initiative de toutes les grandes entreprises d’intérêt public. En vain on lui prouvait les inconvéniens et les périls de la traite, en vain on le conjurait de faire appel en Europe à toutes les classes souffrantes et laborieuses, lui montrant dans toutes les campagnes de l’île un champ immense pour les spéculations de l’industrie européenne ; en vain, il y a quelques mois à peine, les colons de Matanzas, exprimant avec plus d’énergie encore les mêmes appréhensions, suppliaient-ils le capitaine-général, non pas seulement de prendre des mesures qui pussent essentiellement changer les conditions de la race blanche et de la race noire, mais de protéger la première, de lui assurer un peu de sécurité, en disséminant çà et là dans les habitations quelques bataillons de la garnison vraiment trop considérable, qui, à la Havane et à Santiago, parade en pure perte, ou peu s’en faut, devant les palais du gouverneur et de son lieutenant. Prières, cris d’alarme ou de détresse, rien n’ébranlait le gouvernement de Madrid, qui, jusqu’au bout, serait demeuré impassible, si les obsessions de l’Angleterre