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qui sans aucun doute fût plus tard devenu un des maîtres de la poésie espagnole. De long-temps on ne pourra se remettre à la Havane de l’émotion que sa mort y a produite. Si vives que soient à Cuba les divisions de race et de caste, il n’est pas de colon qui ne reproche au gouvernement de Madrid l’exécution du malheureux Placido. Aujourd’hui encore, les vaisseaux qui rentrent dans la métropole sont chargés de nègres qui vont expier au bagne de Ceuta ce vigoureux effort qu’ils viennent de faire pour se saisir de la liberté. Dans son numéro du 18 février, l'Heraldo annonce que trente-neuf de ces malheureux ont été récemment débarqués à Cadix. Dès la fin de 1843, le gouvernement espagnol comprit qu’il n’y avait plus de ménagemens à garder envers la traite, et le général O’Donnell reçut l’ordre positif de réunir cette commission, devenue fameuse par les termes dans lesquels l’avaient instituée les derniers ministres d’Espartero. La commission, bien que dans son sein elle comptât des partisans déclarés de la traite, et entre autres le doyen même des trafiquans d’esclaves, se mit consciencieusement en devoir de rassembler les bases d’une loi sévère, contre le commerce des nègres ; c’est précisément ce petit code pénal que les cortès viennent de donner pour sanction au droit de -visite, si expressément stipulé par les traités de 1817 et de 1835.

Le gouvernement de Madrid est entré là dans une voie excellente. Ce n’est point encore ici le moment d’examiner s’il ne lui aurait pas été possible de supprimer la traite sans reconnaître le droit de visite, sans renoncer pour son compte à la liberté des mers, sans abaisser devant le pavillon britannique celui dont les couleurs flottaient sur le premier navire d’Europe qui ait abordé au Nouveau-Monde. Bornons-nous maintenant à constater cette sérieuse intention, qu’il vient de manifester hautement, d’en finir avec la hideuse contrebande qui, sous la protection des capitaines-généraux, introduit à Cuba des milliers d’esclaves, comme les fraudeurs de Gibraltar introduisent en Andalousie les produits manufacturés de Liverpool et de Londres, sous la protection du canon anglais. La suppression n’aura pas seulement pour avantage de rendre la sécurité aux colons de Matanzas, de Santiago, de la Havane, à la population blanche de l’île entière ; elle ôtera désormais tout prétexte aux déclamations des sensibles, publicistes du Morning-Herald et du Times, des généreux orateurs, qui, à la chambre des lords et à la chambre des communes, continuent, dans le seul intérêt de leur commerce et de leur puissance coloniale, les philanthropiques prédications de Wilberforce. De quel droit maintenant l’Angleterre demanderait-elle, comme il y a quatre ans, à intervenir dans