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envers le souverain s’accordait, jusqu’à un certain point, avec celui des droits de chacun. On en trouve la preuve dans les discours qu’a conservés l’oïdor Zurita[1], par lesquels les chefs inférieurs accostaient l’empereur, et les femmes la souveraine. C’est une suite d’avis exprimés avec franchise, et les chambres législatives d’Europe, de quelque esprit d’opposition qu’elles fussent saisies, ne consentiraient pas à tourner ainsi une adresse au roi. En voici une phrase qui donne la mesure du reste « Dieu, dit-on au souverain, vous a fait une grande faveur en vous mettant à sa place ; honorez-le, servez-le, prenez courage, ne doutez pas ; ce puissant maître qui vous a donné une charge si pesante vous aidera et vous donnera la couronne de l’honneur, si vous ne vous laissez pas vaincre par le méchant. »

Le discours du grand-prêtre à l’empereur, lors de ce que je pourrais appeler son sacre, avait à peu près le même caractère. Il y avait même des cérémonies destinées à graver dans l’ame des puissans de la terre leurs devoirs sacrés envers les populations : « … On conduisait le nouveau dignitaire (le futur souverain élevé au rang de tècle) dans une partie du temple, où il restait quelquefois un ou deux ans à faire pénitence. Il s’asseyait à terre pendant le jour ; le soir seulement on lui donnait une natte pour se coucher. La nuit, il allait au temple, à des heures fixées, pour brûler de l’encens, et les quatre premiers jours il ne dormait que quelques heures dans la journée. Près de lui étaient des gardes qui, lorsqu’il s’assoupissait, lui piquaient les jambes et les bras avec des épines de metl ou maguey, qui sont comme des poinçons, et lui disaient : Éveille-toi, tu ne dois pas dormir, mais veiller et prendre soin de tes vassaux. Tu n’entres pas en charge pour avoir du repos. Le sommeil doit fuir de tes yeux, qui doivent rester ouverts et veiller sur le peuple. »

Avec de la bonne volonté, on découvrirait même, dans les formes de l’avènement au pouvoir, des indices de l’exercice de la souveraineté populaire : « … L’héritier présomptif était préalablement décoré du titre de tecuitli (ou tècle), le plus honorable chez eux. Après plusieurs cérémonies religieuses, les gens du peuple l’insultaient par des paroles injurieuses et l’accablaient de coups pour éprouver sa patience. Telle était leur résignation, qu’ils ne proféraient pas une parole, et ne détournaient pas même la tête pour voir ceux qui les insultaient ou les maltraitaient[2]. »

  1. Collection Ternaux, pages 32 et suiv. du volume consacré à ce magistrat.
  2. Ce passage et le précédent sont extraits du mémoire de Zurita, page 24 et 25. La première citation concerne les fils et successeurs des chefs de Tlascala, dont le gouvernement était une oligarchie reconnaissant quatre chefs. La seconde est relative non-seulement à Tlascala, mais à Chololan (Cholula), qui était un grand fief relevant de la monarchie aztèque, et à Huetzocingo, qui était resté presque jusqu’à la fin indépendant des empereurs mexicains. Mais c’était partout la même race d’hommes, et, à quelques nuances près, le même esprit et les mêmes mœurs.