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si ce prêtre eût failli dans la foi ou dans la conduite ; mais un tel livre rehaussait la vertu du chrétien resté pur dans ce penchant presque païen pour le paganisme, et ce qui n’eût été qu’une inconvenance dans un caractère et avec des talens médiocres était une supériorité d’esprit dans un prêtre vertueux et dans un homme de génie.

C’est peut-être par cette liberté ingénue que les écrits de Fénelon sont à part dans cette famille de chefs-d’œuvre. Je ne parle que de ses écrits de choix. Le Traité de l’éducation des filles, par exemple, n’est pas un livre timide où l’on sente la retenue ecclésiastique ni le scrupule d’un auteur n’ayant pas toujours pensé chastement sur ce sujet, et qui craindrait de laisser échapper des vérités indiscrètes. Tout ce qui s’y rapporte au caractère des femmes y est dit librement et peint au vif. Le jeune prêtre qui écrivait ce traité pour les filles de Mme de Beauvilliers a pénétré au fond de ces natures délicates avec un regard qui n’est ni curieux et indiscret comme celui d’un homme du monde, ni honteux et détourné comme celui d’un novice qui aurait peur de mettre son imagination sur de telles matières. Écrit pour une mère de famille, il n’y manque rien de ce qu’une mère de famille éclairée et forte doit savoir sur un si cher sujet[1]. En revanche, il ne s’y trouve rien pour qui ne chercherait pas dans la connaissance des femmes un moyen de les rendre plus solides et plus heureuses. Et pourtant, admirable fruit de la science reçue dans un cœur pur ! la femme est tout entière dans ces charmantes analyses de la nature de la jeune fille ; mais on l’y voit du même œil et dans le même esprit que Fénelon lui-même. Ses peintures instruisent et purifient tout ensemble. Comme le sublime auteur de la Vénus de Milo, il sait nous faire voir la beauté nue innocemment.

La liberté qui anime les belles pages du Traité de l’existence de Dieu est d’une autre sorte. Quoique l’esprit chrétien y domine, et que ce soit le prêtre de la religion révélée qui démontre le premier dogme de la religion naturelle, on y sent le disciple de Descartes cherchant Dieu par-delà la foi, et pensant à ceux qui n’en peuvent recevoir la connaissance que par la raison. Il ne craint pas d’emprunter des preuves aux païens. Tantôt il raisonne de cette vérité sublime avec la subtilité de Socrate et de Platon, tantôt il la rend familière et accessible à tous par l’aimable et facile rhétorique de Cicéron. Ce qui se voit du chrétien dans ce traité, c’est un désir plus vif

  1. Fénelon avait pris ses observations au couvent des Nouvelles-Catholiques, dont il était directeur.