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et plus tendre de persuader ceux qui le liront, et un choix de preuves qui s’adressent au cœur. Fénelon a voulu intéresser toutes les facultés de l’homme à une connaissance si capitale.

On peut faire, sur ces deux traités, une remarque qui s’applique à presque tous les ouvrages de Fénelon : c’est que le commencement en vaut mieux que la fin. On en lit les premières pages avec délices ; on est tout d’abord au milieu du sujet. Ce qu’il a de vif, d’intéressant, d’essentiel, paraît dès le début. Ce sont ces pensées justes que Fénelon a toutes prêtes sur toutes choses. Peu à peu on sent de la fatigue, et il faut quelque effort pour aller jusqu’au bout. Le sujet ne se développe pas, et l’esprit de l’auteur s’épuise. Après avoir donné toutes les bonnes raisons, il en vient aux raisons menues ou douteuses, ou aux subtilités du sujet. Tout ce qu’il en savait et tout ce qu’il en pouvait voir, il l’a su et il l’a vu en prenant la plume, et il y est entré avec une aisance et une grace charmantes. Vous diriez une conversation forte, solide, éblouissante, qui dégénérerait en un traité. Fénelon commence par où les autres finissent. C’est par cette raison, entre autres, qu’il est inférieur, dans les sermons, à Bossuet et à Bourdaloue, malgré des passages très brillans et d’heureux changemens au patron commun. Il ne sait pas composer, faire un plan, tracer un chemin, mener l’auditeur au but par des raisons qui se fortifient en s’enchaînant. S’il l’enlève dès les premières paroles, il ne le soutient pas. Notre esprit ne prétend point régler le pas des auteurs ; qu’on nous fasse courir dès le début, nous nous y prêtons sans peine, pourvu qu’une fois lancés on ne nous arrête point tout court, et que nous ne nous croyions pas arrivés quand nous ne sommes qu’à moitié chemin. Peu importe sur quel ton l’on commence, pourvu qu’on s’y soutienne, et, si vous me ravissez au-dessus de la terre, prenez garde de me laisser tomber.

Tout est charmant dans les Dialogues sur l’Éloquence et la lettre sur les occupations de l’Académie française. Les Dialogues sont une imitation du Gorgias de Platon, et Fénelon s’est heureusement inspiré de cette méthode de Socrate amenant peu à peu son interlocuteur, par la douce insinuation de la logique familière, à se dépouiller de ses préjugés et à se laisser surprendre en quelque sorte par la vérité. De la même façon que Socrate tire de Gorgias, par mille adresses de discours, l’aveu qu’il n’est qu’un sophiste, Fénelon fait revenir l’interlocuteur de son admiration pour la méchante éloquence ; mais cette imitation est si naturelle, et les raisons que donne Fénelon sont d’ailleurs si propres à l’objet qu’il traite et au génie de notre pays, qu’on