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anciens n’ont pas de caractère plus intéressant que celui de Philoclès, sacrifié par Idoménée aux intrigues et aux calomnies de son favori Protésilas. Cet homme, tombé de la toute-puissance qu’il avait exercée avec modération, exilé dans un coin de l’île de Samos, où il vit du travail de ses mains ; puis, par un retour de fortune, ramené en triomphe à Salente, où il retrouve la faveur du prince et la puissance, et ne s’en sert pas contre ses ennemis ; enfin, se retirant dans une solitude, non pour s’y dérober à ses devoirs envers sa patrie, car Idoménée y vient chercher souvent ses conseils, mais pour échapper à l’injustice et à l’envie à force de médiocrité : c’est là une création que rendent vraisemblable certains exemples de la sagesse antique, et à laquelle l’esprit chrétien, habilement caché sous une mise en scène grecque, donne une grandeur inconnue des héros comme des sages du paganisme.

En parlant de la mise en scène du Télémaque, j’en ai indiqué l’attrait le plus, durable. La mythologie grecque est restée la religion de l’imagination chez les peuples modernes. Le génie grec est encore notre idéal dans les arts. Tout livre qui nous en donne des images sensibles trouve en nous une préparation et une conformité d’éducation première. Ni l’abus qu’on en a fait, ni tant d’imitations maladroites, n’ont pu nous en détacher. Une statue qui rappelle la beauté noble et naïve de la statuaire grecque donne à l’artiste qui la crée le premier rang dans les arts. Quelques pièces d’André Chénier qui sentent le miel de l’Hymette, et qui reflètent en quelques endroits le beau ciel sous lequel était née sa mère, ont rendu son nom immortel. C’est ce même ciel dont Fénelon a éclairé les scènes du Télémaque, c’est cette présence du génie grec à toutes les pages, ce sont toutes ces images agréables ou sérieuses par lesquelles l’antiquité nous a préparés à la connaissance de la vie, qui donnent un mérite d’éternelle nouveauté à ce livre charmant, espèce de vase antique où la main de Fénelon semble avoir composé un bouquet des plus belles fleurs de la Grèce.


NISARD.