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se mesure sur celle des biens : celui qui a plus reçu est tenu à faire et à donner davantage.

Quoi qu’il en soit, les doctrines économiques[1] contraires à la charité ont prévalu dans ces derniers temps. Un des résultats de l’application de ces doctrines au système administratif a été de réduire la somme des secours publics. Les enfans trouvés ne pouvaient manquer d’être compris dans une telle réforme. La question de ces enfans se rattache en effet à celle du paupérisme par des liens faciles à saisir : chez de telles victimes, sorties nues du ventre d’une mère ignorée, la pauvreté est, pour ainsi dire, de naissance. Qu’a prétendu l’administration en introduisant des changemens dans le service des enfans trouvés ? Elle a voulu faire des économies. Il est bon sans doute d’épargner les deniers des contribuables, il est juste de ménager le budget, notre bourse à tous ; mais toute économie qui entreprend sur les comptes de la morale et de l’humanité est une économie onéreuse pour un état. Si peu que coûte l’oubli des devoirs de la charité, cet oubli coûte toujours trop cher. Il est vrai que l’économie a une morale à elle : moins on secourra les enfans trouvés, nous dit-elle, moins les pères et les mères exposeront leurs enfans. Ce raisonnement n’est pas neuf, il remonte au rhéteur Sénèque ; admis et suivi courageusement dans la pratique, il amènerait des conséquences monstrueuses.

Depuis long-temps les hospices de province se plaignaient du grand nombre d’enfans trouvés qui étaient à leur charge. On avait cru remarquer dans certaines localités que des filles-mères, après avoir délaissé leur nouveau-né dans le tour, cherchaient, par un sentiment bien naturel, à suivre la piste de cet enfant chez la nourrice entre les bras de laquelle l’administration l’avait remis. Quelques-unes, encore à demi mères, surveillaient ainsi de l’œil et du cœur le fruit de leur malheureuse grossesse. L’administration crut voir dans cet exercice clandestin des droits de la nature un abus qu’il fallait réprimer. Le moyen qu’on inventa pour déjouer cette pieuse fraude n’était pas heureux il consistait à transporter les enfans placés en nourrice d’un département dans un autre. Le déplacement (c’est le nom qui fut donné à cette mesure) eut quelques heureux résultats, si l’on n’envisage ici que la question financière. Certaines mères froissées dans leurs sentimens

  1. Nous regrettons de retrouver une partie de ces doctrines dans un ouvrage récent : Parti à prendre dans la question des enfans trouvés, par M. T. Curel ; nous le regrettons d’autant plus, que nous aurons bientôt l’occasion de louer les idées pratiques et le bon sens administratif de l’auteur.