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un pareil acte administratif, après avoir vu des nourrices, des vieillards fondre en larmes, en se séparant des petits enfans qu’ils s’étaient accoutumés à regarder comme les leurs. Des femmes les serraient entre leurs bras pour les défendre contre les atteintes de l’autorité. On eût dit un second massacre des innocens. Quelques pauvres familles refusaient même absolument de rendre ces enfans adoptifs, et aimaient mieux partager avec eux leur pain noir que de les voir s’en aller. Qu’a produit le déplacement en échange de tant de larmes ? Une économie de deux ou trois millions !

L’administration s’est autorisée de l’accroissement des enfans trouvés pour essayer une autre mesure encore plus grave : nous voulons parler de la fermeture des tours. Cet accroissement est sans doute un fait alarmant et capital, mais il y aurait de l’injustice à le mettre tout entier sur le compte de nos institutions de bienfaisance. L’augmentation du nombre des enfans trouvés paraît tenir à deux autres causes : le mouvement de la population, et les soins apportés dans le régime des établissemens où l’état exerce les devoirs de la maternité. Ce n’est pas tant le nombre des naissances inconnues et délaissées qui augmente, c’est la mortalité qui diminue. Il n’y a guère plus d’enfans exposés qu’autrefois ; il y a dans nos asiles publics beaucoup plus d’enfans conservés. Il est vrai que pour l’administration le résultat est le même : la charge de l’hospice s’accroît aussi bien des conquêtes de la science que du désordre des mœurs. Aussi voyons-nous l’économie publique s’épouvanter de ces soins charitables et vouloir y mettre un terme ou du moins une mesure. Intéressée à méconnaître ce qu’a de consolant pour l’humanité l’élévation progressive du chiffre des enfans sauvés d’une mort presque certaine par la généreuse assistance de nos hospices, elle n’a voulu voir dans la liberté du tour qu’un encouragement à l’oisiveté, au libertinage, au mépris des devoirs de la nature. Un des freins que la nature à mis au libertinage des femmes, disent les adversaires du tour, c’est la crainte d’avoir des enfans : leur apprendre à braver un tel péril, c’est renverser la digue qui retient chez la plupart d’entre elles tous les penchans vicieux. A vrai dire, nous ne croyons pas que la suppression des tours diminuerait beaucoup le nombre des naissances illégitimes : la faiblesse ou le vice ne prévoient pas. L’amour est, comme tout le monde sait, une force aveugle qui ne calcule même pas avec la mort. Ce n’est pas l’oubli de la pudeur, c’est tout au plus l’oubli de la maternité que le tour encourage. Ici encore les plaintes ont été excessives : on a accusé