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elle se traîne jusqu’au cylindre fatal. La lune est au-dessus de sa tête. À cette pâle clarté, elle voit son enfant ; elle le regarde avec un déchirement de cœur ; elle l’embrasse une dernière fois, elle l’embrasse encore, et elle pleure. Alors un bruit de voiture se fait entendre derrière elle : ce bruit augmente sa frayeur ; elle se retire. Le danger s’éloigne : la voix de la nature la détourne de son coupable dessein. Quoi qu’il doive lui en coûter, elle élèvera son enfant. Cette mère a tenu sa résolution, et elle serait désespérée aujourd’hui d’avoir manqué à ses devoirs, car son enfant est sa consolation, son soutien ; son enfant la nourrit. Dira-t-on que les représentations des fonctionnaires de l’hospice auraient déterminé le même changement ? Nous ne savons : le tour avec son silence éloquent, sa solitude, ses terreurs nocturnes, parlait peut-être mieux que la voix des hommes à certaines consciences délicates. Supposons d’ailleurs que le même effet heureux eût été produit par les conseils de l’administration, l’idée d’abandon, qui est restée un secret entre cette femme et Dieu, un secret à jamais ignoré de son enfant, cette idée serait devenue par le fait de l’admission à bureau ouvert un secret public. Tout est là.

Cette recherche de la maternité, mesure tracassière et inquisitoriale, s’il en fut, atteindra-t-elle le but qu’on se propose ? L’administration veut arriver par ce moyen à dévoiler les crimes que les naissances et les expositions clandestines peuvent couvrir. L’intention est bonne, mais il y aurait de la naïveté à croire que les expositions entachées de forfaiture viendront s’offrir d’elles-mêmes à la lumière d’une enquête. On aura recours, en pareils cas, à d’autres moyens qui compromettront l’existence des enfans. Un des moindres dangers à craindre est celui des expositions sur la voie publique. Cet abus persiste malgré l’existence des tours. Le chiffre moyen des enfans exposés dans les rues de Paris, de 1838 à 1844, est de 29 par année. Le nombre de ces enfans augmentera. On sait comment doivent s’expliquer de telles expositions dans l’état actuel des choses. Des sages-femmes, pour en avoir plus tôt fait, déposent quelquefois l’enfant qui leur a été commis dans une allée ou même au milieu de la rue. Des filles isolées, venues à Paris pour cacher leur faute, ignorent le chemin de l’hospice et n’osent pas le demander, craignant qu’on ne lise leur secret sur leur figure, dans leur maintien embarrassé ou dans le son tremblant de leur voix : elles se décident alors par honte et par timidité à abandonner la nuit leur enfant dans un endroit désert. La fermeture des tours ne détruira pas ces causes d’exposition sur la voie publique, elle en créera d’autres qui n’existent point à cette heure. La preuve que l’administration