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Chaillot. On loua un local modeste, on acheta douze berceaux, quelques petits fauteuils, un crucifix, et le 14 novembre 1845 la crèche était ouverte. Un prêtre la bénit ; des sermons de charité furent prêchés dans les églises sur ce texte connu : Infantem positum in prœsepio. L’éloquence de la chaire, si pauvre qu’elle soit aujourd’hui, trouva quelques inspirations touchantes ; le rapprochement entre la crèche de Bethléem, où l’enfant-Dieu fut couché sur un peu de litière fraîche, et celle de Chaillot, où l’enfant du pauvre allait trouver un berceau, des langes blancs et des soins charitables, tout cela était de nature à ouvrir la source des aumônes. Les aumônes coulèrent en effet. Mme la duchesse d’Orléans vint en son nom et au nom de son fils au secours de l’œuvre commencée. Nous aimons à voir ce qu’il y a de plus grand par la naissance descendre vers ce qu’il y a de plus petit et de plus faible. La crèche ayant réussi à Chaillot, d’autres quartiers de Paris accueillirent cette fondation utile. Vers la fin de décembre dernier, une crèche s’ouvrait rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, au centre de la population la plus souffrante et la plus démoralisée. Nous avons visité ces lieux avec intérêt. Au milieu d’une grande cour, dont les bâtimens conservent un air abbatial, montez un escalier raide et étroit, sur les marches duquel la pauvreté a laissé ses traces ; au second étage (si ce n’est pas un troisième) se trouve la crèche : deux chambres aux murs nus, avec des berceaux garnis de rideaux blancs, une lingerie naissante et un tronc pour recevoir les offrandes des visiteurs. Dans la première pièce sont les nouveau-nés qui sommeillent, dans la seconde se tiennent les enfans au-dessous de deux ans, assis sur de petits fauteuils, et qui jouent. Deux dames de charité surveillent les berceuses. L’instant de la journée le plus intéressant est celui où les mères s’échappent de leurs travaux pour venir donner le sein à leur nourrisson ou prendre dans leurs bras leur enfant sevré. La tendresse de ces femmes, si belles dans ce moment-là sous leurs haillons, la joie angélique de ces petits êtres qui reconnaissent leur mère, qui voudraient lui parler et qui ne savent, tout cela met gracieusement en action ce vers du poète latin

Incipe, parve puer, risu cognoscere matrem.

On voit clairement le but des crèches : fournir aux mères pauvres qui travaillent un moyen économique de faire garder leur enfant durant la journée. Cette institution enlève une excuse et un motif grave au délaissement ; elle sert à renouer le lien de la famille, sans lequel tous les autres liens de la société se relâchent. Il importe néanmoins