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et vain le mépris qu’on affiche trop souvent de notre temps pour l’érudition du passé, combien était forte et patiente, auprès de notre science égoïste et hâtive, la science désintéressée de ces hommes qui dépensaient leur vie entière à former des recueils dont nous avons peine à dresser l’inventaire. Il y a là de véritables reliques, des reliques plus orthodoxes que ce cœur apocryphe de saint Louis qui a soulevé, entre nos savans, une de ces guerres pacifiques comme il en éclata un jour entre les barnabites et les carmes pour l’authenticité d’une goutte du lait de la Vierge. On remarque ici les autographes des hommes immortels dont la France s’honore, là des volumes illustrés par leur origine, sanctifiés par leur âge ou les mains qui les ont feuilletés, les livres de prières de Charles-le-Chauve, de saint Louis, de Marie Stuart. Enfin, sur le vélin des missels, des chroniques, s’étale un immense musée de miniatures où les enlumineurs ont prodigué avec l’or toutes les fantaisies de leur pinceau, un musée qui donne souvent, dans un seul in-quarto, un nombre de figures égal à celles qui se voient aux verrières les plus riches de nos cathédrales[1].

Les manuscrits sont partagés en trois grandes sections : 1° manuscrits grecs et latins, 2° manuscrits orientaux, 3° manuscrits français et en langues modernes. Les volumes forment autant de séries particulières qu’il y a de langues différentes, et dans ces séries même on retrouve souvent de nouvelles subdivisions qui pour la plupart ne reposent point sur un ordre logique, mais qui sont uniquement motivées par les dates successives de leur adjonction. La partie antérieure à la seconde moitié du XVIIIe siècle est désignée sous le titre d’ancien fonds ; les collections acquises depuis cette époque forment ce qu’on appelle les supplémens, et dans les supplémens ainsi que dans l’ancien fonds sont intercalées des collections particulières qui portent le nom, soit de leur premier possesseur, soit des maisons monastiques dont elles proviennent.

Les dispositions adoptées jusqu’à ce jour dans le rangement des manuscrits et ces classifications fragmentaires et morcelées ont été l’objet de quelques critiques. On a dit qu’au lieu d’une seule et même collection, on avait vingt collections différentes au milieu desquelles il était impossible de se retrouver, et en conséquence on a demandé que les anciens fonds, les supplémens, les collections particulières, fussent réunis dans un ensemble méthodique ; mais le classement par ordre de matières, qu’il est si désirable d’obtenir pour le département des imprimés, nous paraît avoir ici plus d’un inconvénient, car on ne peut, sous aucun rapport, assimiler le service des manuscrits à celui des livres. En effet, aux manuscrits le personnel est nombreux, le public restreint. Les conservateurs et les employés ont tous une spécialité distincte, la

  1. L’Emblemata biblica renferme 9,840 figures ; la Bible no 6829 de l’ancien fonds contient 3,016 petits tableaux, où sont représentés 15,080 personnages, c’est-à-dire plus du double de figures qu’il n’en existe sur les vitraux de Chartres et de Bourges.