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les acquisitions, et de concentrer toutes les ressources du budget, toutes les forces du personnel, sur le classement matériel et l’inventaire méthodique. Enfin un écrivain tout-à-fait spécial, qui réunit à une parfaite connaissance des livres une longue pratique de la Bibliothèque du roi, M. Danjou, a proposé la rédaction d’une bibliographie universelle. Cette bibliographie, dressée par un comité d’hommes empruntés à toutes les spécialités, et, au besoin, à toutes les nations de l’Europe, comprendrait l’indication de tous les écrits publiés depuis l’invention de l’imprimerie ; chaque ouvrage, dans cet immense répertoire, porterait un numéro d’ordre, et la bibliographie une fois imprimée, chaque bibliothèque de la France, à commencer par la Bibliothèque du roi, se trouverait, au moyen d’un récolement général, et par le simple report du numéro d’ordre sur les volumes, en possession d’un catalogue tout fait, qui serait en même temps l’inventaire particulier de chaque établissement, et le plus vaste monument d’érudition littéraire qu’on eût élevé jusqu’à ce jour. Ce projet peut effrayer, mais MM. Danjou établit, dans une série de propositions fort ingénieuses, que la rédaction de la bibliographie universelle est beaucoup plus près du possible qu’on ne le croirait au premier abord, et qu’elle serait plus sûre, peut-être même plus expéditive, que l’exécution du seul catalogue des imprimés de la rue Richelieu, si l’on s’obstine dans la voie suivie jusqu’à ce jour.

Est-ce le zèle qui manque aux employés de la Bibliothèque du roi pour mener à bonne fin cette œuvre difficile ? Non certes. Il est juste de reconnaître que la littérature classique y est dignement représentée par M. Naudet, la fine et saine littérature par M. Magnin, la philologie grecque et orientale par MM. Pilon et Dubeux ; il y a même deux bibliographes, MM. Ravenel et Guichard ; mais, dans un dépôt encyclopédique comme celui de la rue Richelieu, c’est la spécialité seule qui fait la capacité. A côté de la littérature, de la philologie, de l’histoire, à côté de la bibliographie elle-même, il y a la théologie orthodoxe et hétérodoxe, la jurisprudence française et étrangère, la philosophie, les sciences naturelles et les sciences exactes, la médecine, l’agriculture, les arts, etc., et cependant on ne trouve dans le conservatoire ni un théologien, ni un jurisconsulte, ni un philosophe, ni un naturaliste, ni un chimiste, ni un physicien, ni un agronome. Les classifications forment une des parties les plus importantes des sciences, les monographies se multiplient jusqu’à la confusion ; est-il possible, nous le demandons, d’assigner aux livres scientifiques la place qui leur appartient, quand on est étranger à la connaissance des systèmes et des classifications sur lesquels repose la science ? Est-il possible, pour les acquisitions, de choisir avec connaissance de cause entre tel et tel ouvrage, quand on est étranger à la spécialité qui en fait le sujet ? L’ordre, dans un établissement de ce genre, c’est, nous le répétons, la spécialité dans le personnel et dans la classification, et cependant MM. les conservateurs, dans la seconde de leurs lettres adressées en 1839 à M. le ministre de l’instruction publique, déclaraient « que des difficultés matérielles, insurmontables, s’opposent au morcellement des matières,