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Les hauts emplois, élevés jusqu’à la dignité de sinécure, sont donnés d’ordinaire à des hommes recommandables sans doute, mais dont les titres sont rarement spéciaux, à des hommes qui ont payé leur dette dans d’autres carrières, et qui, pour se mettre au courant de leur nouvelle tâche, sont parfois obligés de demander l’initiation à leurs inférieurs. Les employés subalternes, confinés dans un service d’hommes de peine, et sûrs d’avance de ne jamais franchir une certaine limite, se laissent gagner par le découragement. Ici, ce sont les bibliothécaires qui nomment eux-mêmes leurs collègues ; là, c’est l’autorité ministérielle ; en province, c’est le conseil municipal, sauf l’approbation du ministre. Pourquoi ne point coordonner entre elles ces administrations morcelées, pour constituer une hiérarchie, un avancement régulier ? La récente ordonnance qui vient de réorganiser les Archives du royaume pose en principe que les archivistes des départemens auront droit d’être admis dans ce dépôt central. Pourquoi ne pas étendre aux bibliothèques de Paris la même mesure en faveur des bibliothécaires de la province ? Un grand nombre d’entre eux ont des titres réels : ils prennent leurs devoirs au sérieux ; ils ont rédigé, publié d’excellens catalogues. Sous ce rapport, on peut le dire, ils sont, et de beaucoup, en avance sur leurs collègues de la capitale. Quels encouragemens ont-ils reçus ? Un exemplaire des Elémens de paléographie. Pourquoi les élèves de l’école des Chartes, qui semblent formés pour les fonctions de bibliothécaires, sont-ils exclus en fait de toutes les bibliothèques de Paris ? On ne saurait trop insister sur la nécessité d’élever le niveau de l’instruction dans le personnel de nos dépôts scientifiques et littéraires. La bibliographie, l’ars magna des Allemands, est peu cultivée en France, et, comme on le disait à la chambre en 1838, les livres, même les plus utiles, courent risque de n’être lus et feuilletés qu’à de longues années d’intervalle, lorsqu’il est impossible d’indiquer aux visiteurs qui se présentent quels ouvrages doivent être offerts à leurs méditations. L’instruction que l’état donne aux enfans dans les collèges, aux jeunes gens dans les facultés, se complète pour les hommes faits par les bibliothèques, et c’est bien le moins qu’ils y trouvent des guides bienveillans et éclairés.

Cent quatre-vingt-quinze villes en France, parmi lesquelles Carpentras se place la première par ordre de date, possèdent des bibliothèques publiques, donnant un total de deux millions six cent mille volumes, c’est-à-dire un volume pour quinze habitans, ce qui est, certes, un chiffre restreint, et à côté de ces villes privilégiées il en reste huit cent vingt-deux autres de trois mille à trente mille ames qui ne possèdent aucune collection publique de livres. Il importerait donc de favoriser d’une part le développement des dépôts déjà fondés, de l’autre la création de bibliothèques nouvelles dans les localités qui en ont été privées jusqu’à ce jour. Seulement il faudrait prendre avant tout pour point de départ l’instruction pratique et professionnelle. La plupart des collections de la province, formées en grande partie de la dépouille des couvens, sont trop exclusivement littéraires, et, dans leur constitution actuelle, elles sont avant tout un cabinet de lecture à l’usage de quelques