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des flots était sillonnée par de longues crêtes d’écume. Tout à coup, balancée entre les collines ondoyantes dont elle coupait la mobile profondeur, nous apparut une embarcation légère qui s’ouvrait avec une prestesse intrépide sa route à travers ce splendide chaos. Elle toucha presque en même temps que nous la plage classique désirée. Nous en vîmes descendre trois voyageurs dont la physionomie vive et spirituelle exprimait cet intérêt prompt et cordial que les enfans de la France, quand ils demeurent fidèles au caractère de leur mère, accordent à tout ce qui s’offre à leur regard de beau, d’illustre, de grand. Ces voyageurs étaient le comte Joseph d’Estourmel et MM. de Gontaut, ses neveux. Le premier était arrivé à l’âge où l’imagination, encore dans toute sa force, se tourne désormais avec une involontaire mélancolie vers les impressions du passé, où le trésor principal de la vie se trouve déposé dans les souvenirs. Et qui, parmi nous, ne croit pas reconnaître dans la Grèce des souvenirs tout personnels, liés par une chaîne d’harmonie aux rêves, aux projets, aux généreuses illusions de sa jeunesse ? La carrière administrative dont, sous le gouvernement de la restauration, M. d’Estourmel avait parcouru de la manière la plus honorable les degrés supérieurs, s’était fermée pour lui depuis la soudaine transformation des institutions nationales ; mais son esprit, accoutumé aux efforts réguliers du travail, cherchait, dans l’exploration consciencieuse des contrées d’où l’ame littéraire et religieuse de la civilisation européenne est légitimement descendue, une occupation qui pût suffire à son activité ; il voulait clore par des peintures à la fois brillantes et vénérables la galerie variée de ses acquisitions intellectuelles. MM. de Gontaut, au printemps de la vie, foulaient avec une gaieté qui n’avait rien d’insouciant cette poussière imprégnée d’immortalité, cette côte que la réflexion fait sembler vieille comme l’histoire, et que l’œil trouve encore fraîche comme la fiction. La curiosité naturelle à cet âge courait au-devant du riche aliment que lui offraient ces terres saintes à tous les titres, que marquent à leur double limite le Parnasse et le Sinaï ; on aimait à voir tant d’espérances s’épanouir sur un sol où nous sommes accoutumés à placer le trône du passé. Nous visitâmes ensemble les monumens ruinés de la ville de Minerve, les humbles commencemens de renaissance que la capitale des Grecs affranchis avait alors à présenter aux voyageurs. M. d’Estourmel a consigné dans quelques pages bien pensées et bien écrites les impressions que l’étude d’Athènes venait de graver dans sa mémoire. On y trouve une description méthodique, claire, nullement pesante, de chaque vestige de l’antiquité : les détails