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coup plus qu’un système à fonder. Les alliés de la France, et, au premier rang de ceux-ci, la Saxe et le Danemark, furent décimés, et ses vainqueurs se partagèrent de riches dépouilles. La Russie fut la plus modérée, la Prusse la plus exigeante, et l’Autriche se consola, en pesant sur l’Italie, du sacrifice qu’elle était contrainte de faire en Allemagne et dans ses anciennes provinces belgiques. On ne consulta pas plus les sympathies que les répugnances des populations ; on ne tint pas plus de compte de leur religion que de leur nationalité, de leur passé que de leur avenir. Les attentats de 1772 et de 1794 contre la Pologne furent solennellement consacrés ; l’Allemagne resta divisée en une foule de souverainetés que la suppression de l’empire germanique laissait sans lien commun ; l’Italie, dominée par un pouvoir étranger, sans être en mesure, désormais, d’invoquer le contrepoids de l’alliance française, étouffa, pressée d’un côté par l’influence amortissante de l’Autriche, de l’autre par un gouvernement ecclésiastique étranger à tous les procédés administratifs des sociétés modernes. Enfin l’Angleterre se fit la part du lion, et s’assura la suprématie maritime en complétant la ligne du blocus immense dans lequel elle enserre le monde.

Quelque déplorables que fussent ces combinaisons, elles furent d’abord acceptées sans de trop vives résistances, car la paix était à cette époque le suprême besoin des peuples, et on en jouissait si vivement, qu’on était disposé à ne guère compter avec les gouvernemens qui venaient de l’assurer aux nations. Ce sentiment rendit également moins impérieuses les exigences des peuples relativement aux institutions représentatives qui leur avaient été promises avec tant de solennité par tous les souverains allemands. On s’en remit à leur parole, et l’on se confia à un prochain avenir, avenir qui, après trente années, semblerait moins avancé qu’au premier jour, si des élémens nouveaux ne paraissaient sur le point de se mêler à la question pour la résoudre.

La paix porta ses fruits naturels : la prospérité s’établit, les lumières se répandirent, et avec le bien-être matériel se développèrent des besoins d’une nature plus élevée. Le mouvement intellectuel qui travaille la Prusse depuis si long-temps, et auquel s’est associée la plus grande partie de l’Allemagne, n’a pu manquer d’exercer une grande influence sur l’ordre politique. En élevant, par l’accroissement de la richesse, le niveau des classes bourgeoises, en développant, par une administration intelligente, toutes les ressources financières, on a préparé les nations à des progrès nouveaux et à des exigences nouvelles, on a rendu celles-ci à la fois légitimes et inévitables. La guerre seule pouvait maintenir aux mains des vieilles aristocraties européennes le monopole du pouvoir politique ; un système de paix et d’industrie, appuyé sur un vaste développement du crédit public, avait pour conséquence obligée et a eu pour effet de préparer l’avènement des classes bourgeoises et lettrées à la vie publique et aux institutions parlementaires. C’est ce fait qui s’efforce de se produire dans toute l’Allemagne ; il y affecte quelquefois la