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inconvéniens ! Il y a sans doute aussi quelques graves inconvéniens pour l’accusé à subir une condamnation que sept directeurs[1] eux-mêmes ne regardent pas comme justement méritée.

Dans ce rapide aperçu d’un important débat, j’ai cru devoir omettre des détails mesquins, scandaleux, qui donneraient plus de force encore à l’accusation portée contre les autorités britanniques ; il m’a paru préférable de maintenir la question à la hauteur d’un grand procès politique, et d’étudier les faits dans leur ensemble, en les dégageant de tout ce que l’histoire oubliera. Le public, l’Europe entière, en savent assez aujourd’hui pour comprendre ce qui a porté les membres de la cour à rejeter avec dégoût, à une grande majorité, la révision de cette cause fastidieuse, disent-ils, et suffisamment étudiée. Cependant il y a un précédent à l’affaire du raja de Sattara, et cette seule circonstance devrait soulever des scrupules dans l’esprit des juges. En 1787, le fils adoptif d’un raja de Tanjore, légitimement admis à succéder à son père, d’après la loi hindoue, et confié à la garde du missionnaire Swartz, fut déposé presque immédiatement, à la demande de son oncle, à peu près comme Pertaub-Sing l’a été par suite des intrigues auxquelles son frère, Appa-Sahib, n’est pas resté étranger. Cette sentence, le gouvernement de Madras l’adopta, la cour des directeurs la confirma ; elle ne tarda pas à être sanctionnée par le gouvernement suprême. Malgré cela, une minorité bien faible persista à soutenir que cette sentence avait été achetée, au moyen de grosses sommes d’argent, par de faux témoignages, par ces ténébreuses machinations dont l’Asie a gardé le secret. Pendant sept années, ceux qui demandaient justice implorèrent vainement l’attention du gouvernement de l’Inde. A la fin, leur obstination triompha de l’indifférence des autorités britanniques ; on révisa la cause, on découvrit des menées frauduleuses que personne ne supposait, pas même le missionnaire Swartz, défenseur naturel, tuteur légal du jeune prince. Le raja, convaincu d’avoir trompé la justice, fut déposé à son tour, et le fils adoptif du roi précédent remonta sur le trône de son père douze ans après qu’un complot habilement ourdi l’en avait fait descendre[2]. Dans cette affaire déjà ancienne, on n’avait aucune raison de soupçonner que la bonne foi des juges eût été surprise ; dans celle-ci, on fait plus que soupçonner une illégalité, on la voit se reproduire sous toutes les formes à chaque nouvelle phase du procès. Mais il n’y a que sept ans à peine que le raja crie du fond de son exil ; encore quelque temps, et il se peut qu’il meure : alors, sans doute, on considérera sa cause comme doublement jugée, et une grande iniquité aura été commise à la face du monde par le gouvernement de l’Inde. Plaise à Dieu que ce soit la dernière !


Théodore Pavie.

  1. Les directeurs sont au nombre de vingt-quatre ; tous n’étaient pas présens à la séance.
  2. Speech of M. John Sullivan, etc., pag. 3 et 4.