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Il n’y a qu’une voix parmi les whigs sur l’opportunité d’une démarche qui atteste la prévoyance et la résolution de leur général en chef ; mais les plus politiques en ont blâmé la forme. La lettre de lord John Russell était écrite avec une amertume, et elle avait un caractère agressif, qui ont dû blesser profondément le premier ministre. Les circonstances semblaient indiquer la convenance, la nécessité même d’un rapprochement entre les deux fractions modérées de la chambre des communes. Le temps ayant effacé les plus graves dissentimens qui les séparaient, la distance était désormais peu sensible entre les opinions, et n’existait plus que de personne à personne. Cette coalition, à laquelle tout le monde songeait, excepté peut-être les deux hommes qui pouvaient seuls la former, la lettre de lord John Russell l’a rendue tout-à-fait impossible ; elle a rouvert et agrandi le fossé qui allait être comblé. Les destinées de l’Angleterre seront certainement affectées par cet incident, mais les whigs y perdront plus que l’Angleterre.

Lord John Russell calcule trop bien la portée de ses démarches pour que l’on ait le droit de supposer qu’il a fait ici autre chose que ce qu’il voulait faire. Le chef des whigs a su évidemment ce qu’il acceptait et ce qu’il repoussait : il a préféré l’alliance des radicaux à celle des tories modérés ; il a déplacé l’avenir de son parti, et peut-être aussi l’avenir du gouvernement. Quant à sir Robert Peel, il n’était pas maître de suivre l’exemple qu’on lui donnait, ni de se rejeter dans la résistance aussi loin que ses adversaires allaient à l’avant-garde. Il arrive un moment, dans l’histoire des sociétés, où les préjugés et les intérêts des vieux partis ne peuvent plus trouver d’organes. Sir Robert Peel a dû juger que ce moment était venu.

Dans les derniers jours de novembre, il porta la difficulté au conseil des ministres. Le cabinet était partagé sur la question des céréales. Lord Aberdeen, sir J. Graham et M. Sidney Herbert formaient, avec le premier ministre, le parti des concessions ; le reste du ministère y répugnait plus qu’il n’y résistait, lord Stanley faisant valoir des scrupules plutôt que des argumens, et le duc de Wellington entrevoyant dans le lointain seulement des nécessités que sir Robert Peel croyait pressantes. Dans cette disposition des esprits, les conseils de cabinet se succédaient sans conclure. L’on attendait avec anxiété la décision du ministère, lorsque le Times, qui semble avoir le privilège des révélations opportunes, publia un article dont voici les premières lignes, et qui fit une prodigieuse sensation :

La détermination du cabinet n’est plus un secret. On assure que le parlement doit être convoqué pour la première semaine de janvier,