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Angleterre pour annoncer l’existence d’une nouvelle administration. Peux jours plus tard, le premier ministre en expectative se présentait à Windsor pour remettre entre les mains de la reine les pouvoirs qu’il avait reçus.

Que s’était-il passé dans l’intervalle ? Les whigs avaient le champ libre : la reine les souhaitait peut-être ; les tories s’écartaient pour leur faire place ; le parti radical les appelait ; O’Connell applaudissait à leur rentrée. Les obstacles ne pouvaient donc venir et ne vinrent en effet que d’eux-mêmes. Parmi les membres désignés pour composer le futur cabinet, les uns, envisageant principalement le côté sombre de la situation, ne se prêtaient qu’à regret à une combinaison qui avait peu de chances de durée ; les autres, plus préoccupés de la position faite ou à faire aux personnes, adressaient leurs objections aux élémens dont se formait cet embryon de ministère. Une partie des whigs, ceux qui représentaient plus particulièrement la tradition aristocratique et qui, en leur qualité de grands propriétaires, conservaient un fonds de tendresse pour le système protecteur, ne concevaient pas que l’on élargît le cadre un peu étroit dans lequel s’était traînée l’ancienne administration ; ils n’admettaient pas que les hommes qui avaient gagné la bataille en recueillissent les résultats, et ils voyaient toute une révolution dans le fait de l’adjonction de M. Cobden, agitateur populaire et manufacturier, qui n’avait d’autre noblesse que son incontestable capacité. Cependant l’insistance de lord John Russell avait emporté ce point, et M. Cobden serait entré dans le cabinet, s’il l’avait voulu.

La position de lord John Russell lui-même soulevait des résistances plus sérieuses. Il était impossible de lui disputer la direction politique, car, selon les usages de l’Angleterre, la reine l’avait fait premier ministre en l’appelant. La supériorité de talent justifiait d’ailleurs un pareil choix non moins que l’éminence du caractère. Ajoutons que l’état des affaires et des esprits en Angleterre exige impérieusement aujourd’hui que le premier lord de la trésorerie appartienne à la chambre des communes, et que dans la chambre des communes tous les membres du parti whig reconnaissent l’autorité de lord John Russell. Assurément, lorsque le duc de Wellington, malgré la célébrité qui s’attache à son nom, et bien qu’il ait commandé le gouvernement ainsi que les armées, cède à sir Robert Peel la direction de son parti, on chercherait vainement dans les rangs des whigs une illustration devant laquelle les droits de lord John Russell dussent s’effacer. Toutefois une société aristocratique comporte des prétentions que l’on s’expliquerait