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envelopper dans la même critique. Le raisonnement est, après tout, l’instrument légitime de la raison : il vaut ce que valent les principes sur lesquels il s’appuie. Ensuite la raison, et singulièrement la raison spontanée, est, comme le sentiment, immédiate et directe ; elle va droit à son objet, sans passer par l’analyse, l’abstraction, la déduction, opérations excellentes sans doute, mais qui en supposent une première, l’aperception pure et simple de la vérité. Cette aperception, c’est à tort qu’on l’attribue au sentiment. Le sentiment est une émotion, non un jugement ; il jouit ou il souffre, il aime ou il hait ; il ne connaît pas. Il n’est pas universel comme la raison, et même, comme il touche encore par quelque côté à l’organisation, il lui emprunte quelque chose de son inconstance. Enfin le sentiment est attaché à la raison il la suit, il ne la précède point. En supprimant la raison, on supprime donc.le sentiment qui en émane, et la science, l’art et la morale manquent de fondemens fermes et solides. »


Après avoir ainsi réfuté tour à tour la morale de l’intérêt et celle du sentiment, et établi ensuite les devoirs et les droits de l’homme sur leur véritable base, l’idée rationnelle du bien, l’illustre écrivain, passant de la morale à la théodicée, remonte jusqu’au premier et dernier principe des idées comme des existences, jusqu’à Dieu lui-même :


« Dieu est le principe du bien : il l’est comme fondement de toute vérité, de la vérité morale comme de toutes les autres. Tous nos devoirs sont compris dans la justice et la charité. Or, de qui peut nous venir une telle loi, sinon d’un être essentiellement juste et bon ? C’est là, selon nous, une démonstration invincible et souveraine de la justice et de la charité divine : cette démonstration éclaire et soutient toutes les autres. Dans cet immense univers dont nous entrevoyons une faible partie, malgré plus d’une obscurité, Dieu nous apparaît juste et bon. Tout semble ordonné en vue du bien général, éclatante image de ce que doit être la conduite de l’homme. Enfin Dieu seul peut achever l’ordre moral. Cet ordre a pour loi l’harmonie de la vertu et du bonheur, il réclame donc l’accomplissement de cette loi. Sans doute, elle s’accomplit déjà dans le monde visible, dans les conséquences de tout genre qui suivent les bonnes et les mauvaises actions, dans la société qui punit et récompense, dans l’estime et le mépris public, surtout dans les troubles et dans les joies de la conscience. Toutefois cette loi nécessaire n’est point exactement accomplie ; elle doit l’être pourtant, ou l’ordre moral n’est point satisfait, et la nature la plus intime des choses, leur nature morale, demeure voilée, troublée, pervertie. Il faut donc qu’il y ait un être qui se charge d’accomplir, dans un temps qu’il s’est réservé et de la manière qui conviendra, l’ordre dont il a mis en nous l’inviolable besoin ; et cet être, c’est Dieu.

« Ainsi de toutes parts, de la métaphysique, de l’esthétique, surtout de la morale, nous nous élevons au même principe, centre commun, fondement dernier de toute vérité, de toute beauté, de tout bien. Le vrai, le beau et le bien ne sont que les révélations diverses d’un même être. L’intelligence humaine,