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REVUE DES DEUX MONDES.

les unes dans l’abîme du passé, de recueillir soigneusement les autres, et d’y asseoir les espérances de l’avenir. »


— Le deuxième volume de l'Essai sur la Métaphysique d’Aristote, par M. Félix Ravaisson, vient de paraître in-8o[1]. Ce volume est la suite et non la fin d’un ouvrage tout-à-fait remarquable dont nos lecteurs connaissent déjà la première partie. Chemin faisant, M. Ravaisson a vu la carrière s’étendre devant lui, et il ne s’est pas refusé à la parcourir tout entière. L’auteur termine aujourd’hui l’histoire de la philosophie ancienne dans ses rapports avec Aristote : nous avons retrouvé dans cette partie intéressante les brillantes qualités de l’écrivain philosophe, et nous les avons retrouvées mûries et fortifiées par le temps et l’étude. La Revue s’occupera de cet important travail.


— L’activité renaît dans le haut enseignement. À la Sorbonne comme au Collège de France, plus d’un cours important s’est déjà rouvert. Il y a là, à côté des régions bruyantes que fréquente trop volontiers notre littérature, une arène plus calme et plus haute, qui demeure ouverte aux libres efforts de la critique comme aux paisibles travaux de la science. Pour une ou deux voix imprudentes qui se sont adressées aux passions de la foule, les vraies traditions de l’enseignement gardent là encore plus d’un représentant fidèle qui recherche les sympathies sérieuses et qui les obtient. M. Saint-Marc Girardin, par exemple, ne retrouve-t-il pas chaque année un auditoire nombreux prêt à applaudir sa mordante parole et son inflexible bon sens ? La voie où il marche n’est pas celle des ovations faciles, et cependant M. Saint-Marc Girardin n’y est pas seul. Au Collège de France, M. Philarète Chasles, qui avait à créer devant un public plus habitué aux concessions l’enseignement des littératures du Nord, a compris de même les devoirs de sa chaire ; c’est par l’unique ascendant d’une critique élevée et d’une érudition solide qu’il a conquis son auditoire. Cet auditoire est sympathique et empressé, M. Chasles a pu s’en convaincre à la leçon d’ouverture du cours de cette année, où il a nettement indiqué le but à la fois noble et utile qu’il marque à ses efforts. C’est à concilier l’étude des littératures du Nord avec les exigences du génie français qu’il s’appliquera surtout. M. Chasles admire Shakspeare et Goethe, mais il n’entend leur sacrifier ni Rabelais ni Montaigne. Le sujet qui doit l’occuper cette année, c’est l’influence exercée par la lutte de l’Angleterre et de Napoléon sur le développement du génie britannique. De tels rapprochemens font plus qu’animer l’histoire littéraire, ils la complètent. En appuyant son enseignement sur une base aussi large, M. Chasles a pu s’étonner que des esprits aventureux se soient trouvés à l’étroit dans les limites d’un enseignement analogue. Il a prévenu ses auditeurs en souriant qu’ils ne trouveraient pas dans sa chaire le plus petit messie. On ne pouvait les convier plus spirituellement au culte désintéressé des lettres, et d’unanimes applaudissemens ont prouvé au professeur qu’il était compris.


V. de Mars.
  1. Chez Joubert, libraire-éditeur.