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Bible, cette sombre humeur le prenait ; il se promenait sur le bord de la rivière funèbre que nous avons décrite, à l’ombre des aulnes, sous un ciel humide et bas, rêvant, pendant que ses bestiaux erraient dans ces pacages, à l’homme et à Dieu, à la vie et à la mort, surtout au dogme de la prédestination. Sans doute, le soir, plongé dans les terreurs de cette croyance, il envoyait chercher Simcott, et demandait à la science humaine des remèdes contre ce mal que Hamlet ne pouvait guérir.

Pourquoi cette douleur s’était-elle emparée des hommes les plus sérieux et les plus estimés de l’Angleterre ? Lord Brook, lord Say, lord Montagu, éprouvaient les mêmes angoisses. Hampden, cousin de Cromwell, était puritain comme eux. Était-ce superstition ou fourberie ?

Depuis que le protestantisme, proclamé par Henri VIII, avait armé l’Angleterre contre Rome, le schisme avait développé ses conséquences ; la foi catholique était ébranlée au nord ; l’unité était détruite. Le même doute dont le grand poète venait de montrer son Hamlet déchiré fatiguait les ames. La réforme était commencée, on voulait la pousser jusqu’au bout ; la révolution opérée par le monarque ne semblait plus suffisante. Dès le commencement du siècle, une pétition, signée de près de mille ecclésiastiques, avait sollicité la destruction radicale des cérémonies et des rites, le retour à la simplicité primitive des observances. On s’était surtout prononcé contre l’absorption des dîmes par les courtisans, auxquels le monarque avait jeté cette curée en pâture ; on avait réclamé l’attribution de ces richesses, du moins en partie, aux ministres nouveaux, propagateurs du calvinisme. Le radicalisme dans la réforme était la conséquence naturelle du premier coup porté à la vieille unité catholique. — « Il faut, criaient les démocrates religieux, renverser l’idolâtrie, détruire le mensonge, revenir an sens divin du christianisme, embrasser à la fois la liberté et la vérité, ne pas laisser trace de l’esclavage et de la fraude, déraciner cette servitude étrangère et cette mort de l’ame, s’élever à la contemplation de Dieu et à l’indépendance terrestre. » — Ce n’est pas à nous d’absoudre ou de condamner cette immense négation ; il nous suffit de dire que telles étaient la pensée et la passion du Nord tout entier. Ce qu’on a regardé comme une hérésie était surtout la prise d’armes du grand corps germanique. La liberté protestait contre l’autorité, la négation contre l’amour, l’avenir contre le passé, le Nord contre le Midi. Je ne juge pas le mouvement ; je l’explique.

Que ce mouvement vers la liberté effrayât le pouvoir civil et le pouvoir