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de l’impératrice Catherine sont des élémens de l’histoire comme ceux de Tibère.

Ce fut au commencement de l’année 1778 que M. Harris se rendit comme ministre à Pétersbourg. Il y allait pour essayer d’amener l’impératrice à la conclusion d’une alliance offensive et défensive avec la Grande-Bretagne. Il y resta jusqu’à la fin de 1783, et retourna en Angleterre sans avoir rien obtenu. Pendant ces cinq années, il dépensa beaucoup d’habileté, beaucoup d’esprit d’intrigue et une très grande persévérance ; mais il échoua surtout contre ce sentiment de répulsion qu’inspiraient déjà à tous les peuples les prétentions de l’Angleterre à la domination arrogante et absolue des mers. Les façons hautaines que montraient trop souvent et le gouvernement britannique et ses agens avaient indisposé contre eux presque toutes les cours. Catherine, d’ailleurs, quoique philosophe, était femme ; elle aimait la flatterie, et elle l’aimait surtout en langue française. Que de fois le ministre anglais, voyant tous ses efforts déjoués par quelques complimens de Paris ou de Versailles, maudit la vanité, la coquetterie et toutes les faiblesses de la grande Catherine ! « Cette grande dame, écrivait-il un jour avec presque autant d’esprit que de dépit, cette grande dame dégénère souvent en une femme ordinaire, et joue avec son éventail quand elle croit manier son sceptre. La France a appris l’art de la cajoler, et elle a peur d’encourir le déplaisir et la critique d’une nation qui écrit des mémoires et des épigrammes. »

Quand donc M. Harris arriva à Pétersbourg, il trouva la cour de Russie entièrement française. L’impératrice était entourée d’hommes gagnés aux intérêts des Bourbons, et qu’il appelait des garçons perruquiers de Paris. D’un autre côté, le roi de Prusse, qui détestait les Anglais, et qui avait à ce moment l’oreille de l’impératrice, les desservait de tout son pouvoir. Aussi M. Harris rencontra dès le début des difficultés à peu près insurmontables. Pendant une année entière, il négocia avec le ministre de Catherine, le comte Panin, et finit par s’apercevoir qu’il était joué par lui. Le comte Panin, qui était bien décidé d’avance à ne pas conclure avec l’Angleterre, transmettait à l’impératrice les demandes de M. Harris de façon à les rendre inacceptables, et un jour il répondit au ministre anglais « que la Grande-Bretagne avait, par sa conduite arrogante, attiré sur elle tous ses malheurs, et qu’elle ne devait attendre ni secours de ses amis ni clémence de ses ennemis. »

Alors M. Harris, voyant que de ce côté il n’avait rien à espérer, se tourna d’un autre. Il s’adressa à un ancien amant de Catherine, principal