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HARRIS. — On dit, madame (mais je crains d’offenser), que c’est le projet des Français, et que le vôtre était bien différent.

L’IMPÉRATRICE, avec violence. — Mensonge atroce ! Vous devez savoir que je puis rendre politesse pour politesse ; nais je n’aurai jamais de la confiance en eux. Mais quel mal vous a fait cette neutralité armée, ou plutôt cette nullité armée ?

HARRIS. — Tout le mal possible. Elle établit de nouvelles lois… elle sert encore à confondre nos amis avec nos ennemis…

L’IMIPÉRATRICE. — Vous molestez mon commerce, vous arrêtez mes vaisseaux. J’attache à cela un intérêt particulier ; c’est mon enfant que mon commerce, et vous ne voulez pas que je me fâche !… Ne parlons plus là-dessus, nous nous brouillerions. Mais écoutez ce que je vais vous dire : faites la paix ; le moment est venu. Ouvrez-vous à moi avec une entière confiance… Je désire ardemment vous tirer d’embarras ; mais prêtez-vous-y vous-mêmes ; soyez plus souples, moins réservés… Point de méfiance, point de raideur, je ne réponds alors de rien ; mais soyez ouverts, clairs et francs, je répondrai alors de tout.

HARRIS. — Je sais d’avance que rien moins que la paix de Paris, renouvelée en entier, peut nous satisfaire.

L’IMPÉRATRICE, avec finesse. — Je ne dis rien. Parlez-moi franchement de chez vous ; désabusez-moi de cette réserve, de cette méfiance que je crois apercevoir dans votre ministère ; je vous dirai tout alors… Faites la paix ; traitez avec vos colonies en détail, tâchez de les désunir ; leur alliance avec les Français tombe alors d’elle-même, et cela leur servira d’échappatoire….Je vous réponds de mon amitié, de ma justice. Je suis charmée que vous ayez témoigné une envie de me voir ; j’ai voulu vider mon sac… Tenez, mon cher Harris, je vous parle très sincèrement… Si, après tout ce que je viens de vous dire, je lui trouve (à la cour d’Angleterre) la même indifférence, la même raideur, que sais-je, moi ? le même ton de supériorité avec moi, je ne me mêle plus de rien ; je laisse les affaires aller leur train…

HARRis. — Votre majesté impériale a l’ame trop élevée pour jamais nous abandonner. Elle ne voudra pas que la postérité dise que de son règne l’Angleterre a pensé succomber, sans qu’elle ait tendu la main pour la secourir.

L’IMPÉRATRICE. — Je suis lasse d’être généreuse : faut-il toujours l’être sans qu’on le soit pour moi ? Soyez-le à mon égard, vous verrez comme je le serai au vôtre. Laissez mon commerce en repos, n’arrêtez pas le peu de vaisseaux que j’ai ; je vous dis qu’ils sont mes enfans. Je voudrais que mon peuple devînt industrieux. Est-ce dans le caractère d’une nation philosophe de s’y opposer ?

HARRIS. — Nous ferons tout pour vos vaisseaux ; mais votre majesté impériale ne prétend sûrement pas, par cette neutralité armée, que toute nation jouisse du même droit ?

L’IMPÉRATRICE. — Je vous dis que c’est une nullité armée, mais je la