Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soupçonnait que des souvenirs chers et douloureux les préoccupaient, et elle voulait leur ôter la dangereuse consolation de s’y abandonner ensemble. C’était tout ce qu’elle pouvait prévoir d’ailleurs.

Souvent Anastasie parlait de sa mère, et se rappelait ceux qu’elle avait laissés dans le monde ; mais elle ne prononça pas une seule fois le nom d’Éléonore, et Gaston imita cette réserve : il ne fut jamais question des Maragnon en présence de la mère Angélique. Quelquefois la jeune novice entretenait son frère de la vie tout à la fois active et calme qu’on menait dans le couvent.

— C’est surprenant, lui disait-elle, nous accomplissons chaque jour la même tâche, nous prenons les mêmes récréations, nous récitons les mêmes prières, enfin nous recommençons toujours les mêmes choses, et pourtant le temps passe vite dans cette monotonie. Ici vivre long-temps ou mourir bientôt paraît une affaire indifférente.

Une fois cependant, la supérieure ayant un moment quitté le parloir, Gaston se rapprocha de la grille auprès de laquelle Mlle de Colobrières était assise, et, appuyant son visage contre les barreaux, il lui dit à voix basse :

— Ma chère Anastasie, hélas ! est-il bien vrai que celles qui habitent cette sainte maison ne se souviennent plus du monde, qu’elles n’y éprouvent ni chagrins ni regrets ?

— J’y serais morte déjà, si la piété, l’affection, l’angélique vertu de ma chère mère ne m’eût soutenue ! répondit sourdement la jeune fille.

— Juste ciel ! ma pauvre sœur, que dites-vous ? s’écria Gaston.

— Pourtant, je ne veux pas retourner au monde, reprit Mlle de Colobrières avec exaltation ; quand je me trouve trop malheureuse ici, je songe à ce qui s’est passé là-bas… mon frère, ils sont mariés maintenant !

— Oui, il faut rester ! murmura Gaston d’une voix étouffée, il faut rester ici, car ils retourneront à Belveser !

La mère Angélique revint en ce moment, et reprit l’entretien sans paraître s’apercevoir que des larmes roulaient sous les paupières baissées d’Anastasie, et que le cadet de Colobrières était fort pâle.

Pâques approchait, et, pendant la semaine sainte, personne n’était admis au parloir de la supérieure ; la communauté des filles de la Miséricorde entrait alors en retraite, et embrassait la vie de contemplation ; la salle de travail était fermée, et des exercices de piété remplissaient toutes les heures de la journée. Cette séparation momentanée acheva d’accabler Gaston ; il tomba malade d’ennui et de chagrin. Personne autour de lui ne pouvait s’apercevoir de ses souffrances, et il les