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— C’est grand dommage, en vérité ! répliqua vivement Mlle Maragnon, car l’habit religieux sied très bien aux belles personnes.

— Voilà une petite demoiselle qui comprend tout-à-fait les renoncemens de la vie monastique ! dit la supérieure d’un ton de douce ironie. Jésus ! comme elle scandaliserait nos chères sœurs, comme elle serait admonestée par la maîtresse des classes, si elle parlait ainsi devant la communauté ! Je vois bien qu’il faut l’instruire un peu de nos usages avant qu’elle se rende au quartier des pensionnaires.

— Ma chère mère, dit Anastasie, si votre charité me charge de ce soin, je m’en acquitterai avec tout le zèle imaginable, et aussi avec une satisfaction infinie.

— Je n’en doute pas, ma fille, répondit la supérieure avec bonté : c’est à vous que je confie notre jeune pensionnaire : vous la guiderez dans tous les exercices de cette journée, mais prenez d’abord un moment de récréation, et, en attendant l’heure du dîner, faites-lui visiter la maison. Allez, je vous le permets.

Cette heure de liberté était une faveur rare, une concession inappréciable, dont Anastasie se hâta de profiter ; elle emmena Mlle Maragnon à travers un labyrinthe de salles et de corridors, où elles ne rencontrèrent personne, car toute la communauté était dans la salle de travail, et enfin elle s’arrêta à l’entrée du jardin.

— Voici un endroit assez agréable, dit Mlle Maragnon.

— Décidément, cousine, vous avez la vocation de trouver que tout est bien au couvent ! fit Anastasie avec un faible sourire ; ces lieux, dont l’aspect vous charme, m’ont toujours paru extrêmement tristes : on ne s’y aperçoit pas du retour de la belle saison.

En effet, les douces influences du printemps n’avaient pas égayé la sévère perspective de ce séjour. Les tilleuls qui formaient deux longues allées parallèles au mur de clôture s’étaient à peine couverts d’un grêle feuillage, à travers lequel on apercevait leurs branches tortues, leurs rameaux enchevêtrés et noirâtres. À l’abri de ces tristes ombrages croissaient quelques lis indolens, quelques roses de Gueldres sans parfum. Le parterre était un terrain vague où croissaient d’aventure de chétives touffes de girofliers, et, véritablement, il n’y avait qu’un seul espace bien verdoyant dans cette enceinte : c’était le bassin, lequel était couvert de larges nappes de mousse et de lentilles d’eau. Quelques misérables poissons rouges frétillaient sous cette végétation marécageuse, qui recelait aussi des grenouilles au cri rauque et perçant. Les deux cousines s’assirent sur un banc isolé au fond de