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banquet, est-ce que ces dames ne parleront pas non plus en sortant de table ?

— Vous verrez pendant la récréation, répondit en souriant Mlle de Colobrières.

— Dites-moi, cousine, reprit Éléonore, quelle est cette grande fille pâle qui sert à la première table, et qui fait une génuflexion si dévote chaque fois qu’elle passe devant le crucifix ?

— C’est la Rousse, répondit Anastasie à demi-voix : c’est une pauvre servante que nous avions au château, et qui est venue trouver Gaston à Paris parce qu’elle se figurait qu’il avait besoin de ses services. La brave fille ne se doutait pas de l’embarras où le mettrait au contraire son arrivée ; il l’a tout de suite amenée ici…

— Et elle a consenti sans difficulté à devenir sœur converse ? demanda Éléonore.

Anastasie fit un geste négatif et reprit : — D’abord elle ne se plaisait pas du tout au couvent. C’est un esprit violent, obstiné, qu’il n’était pas aisé de réduire. L’on aurait en vain entrepris de la persuader, si d’elle-même elle ne se fût tournée vers Dieu ; mais tout à coup la grâce l’a touchée, et, comme dit notre maîtresse des novices, elle court en plein dans la voie de la perfection. Si on la laissait faire, elle pratiquerait des mortifications au-dessus de ses forces ; dernièrement, elle s’est jetée aux pieds de notre mère, la suppliant de lui permettre de porter le cilice et de prendre la discipline l’espace d’un Miserere tous les vendredis.

— Et Mme la supérieure y a consenti ? interrompit Éléonore.

— Non pas, ma chère enfant, répondit la mère Angélique en intervenant dans cet entretien ; ces austérités sont contre l’esprit de la règle ; j’ai refusé à la sœur Madeleine la permission qu’elle sollicitait, et je l’ai renvoyée à son travail en doublant sa tâche.

À ces mots, elle se leva pour dire les grâces. Le dîner était déjà fini. Les religieuses, à peine sorties du réfectoire, se dispersèrent dans le jardin. Tandis que les vieilles se promenaient au soleil et donnaient à manger aux poissons rouges, les jeunes entourèrent la nouvelle venue avec cette curiosité, cette bienveillance familière qui est naturelle aux enfans et aux personnes absolument séparées du monde. On lui adressa mille questions, on lui prodigua les témoignages d’amitié, les petites flatteries. Toutes formaient des vœux pour qu’elle prit le voile. Ce qui les charmait et les étonnait surtout, c’était la sérénité, le contentement qu’exprimait la physionomie de Mlle Maragnon.

— Elle s’est tout d’un coup habituée ici, disait l’une ; jamais novice