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pays où toute l’année fleurissent les roses ; il se rappela les haies vertes à l’abri desquelles s’épanouissaient déjà les délicates anémones, les pâles marguerites ; il se rappela les bosquets sauvages de l’Enclos du Chevrier. Il suivait par la pensée, à travers ces frais paysages, une blonde jeune fille, qui tantôt franchissait d’un pas agile les roches abruptes, tantôt s’asseyait pensive au bord du sentier, sur le tronc renversé d’un saule, ou bien remontait vers la Roche du Capucin, et penchait son blanc visage sur les eaux indolentes de la source.

Un léger coup frappé à la porte troubla cette longue rêverie. Lambin releva la tête et dressa ses oreilles d’un air effaré, et le cadet de Colobrières dit sans se retourner : — Qui est-ce ? qui va là ?

— C’est moi, répondit la Rousse en entrant, son chapeau de feutre noir sur la tête, un petit paquet à la main, et ses gros souliers de cuir crottés jusqu’au courde-pied.

— Comment ! c’est toi ? fit Gaston stupéfait.

La pauvre fille était pâle d’émotion et de joie ; elle laissa tomber son petit paquet, et prit une chaise en disant :

— Je vais m’asseoir, sauf votre respect, monsieur le chevalier ; les jambes me manquent. Ah ! c’est que j’ai marché… j’ai marché…

— Et que viens-tu faire ici, mon enfant ? interrompit Gaston inquiet et touché de la voir arriver ainsi.

— Je viens vous donner des nouvelles de M. le baron et de Mme la baronne, répondit-elle ; tout le monde au château se porte bien, grâce au ciel, sauf les oiseaux de Mlle Anastasie, qui sont un peu languissans depuis son départ. Je voulais lui en apporter un ou deux dans une cage, ça lui aurait fait plaisir peut-être de les revoir ; mais Tonin ne m’a pas conseillé de m’en charger.

— Je le crois bien ! dit Gaston. Et tu as fait la route à pied ?

— Oui, en me promenant, répondit la Rousse ; je suis partie il y a trois semaines, le beau jour de Saint-Joseph.

— Et c’est avec la permission de ma mère que tu as entrepris ce voyage ? demanda encore le cadet de Colobrières.

— Je n’ai rien dit à Mme la baronne ; elle m’aurait peut-être empêchée de venir, répondit-elle avec quelque embarras. Je n’ai fait part de mon idée à personne, excepté à Tonin, qui a bien essayé de m’en détourner ; mais il n’a pas pu, le pauvre homme !

— Mais, reprit Gaston, tu devais savoir que mon père et ma bonne mère m’ont écrit pour me donner de leurs nouvelles. Moi aussi j’ai envoyé deux lettres, et tu n’avais pas grand motif d’entreprendre un si long voyage… deux cent quarante lieues à pied…