Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrites en marge du manuscrit, sont entrées mal à propos dans le texte imprimé. A une première et rapide lecture, ces inconvéniens arrêtent peu ; on ne suit que le cours des sentimens de celle qui écrit. Une édition correcte n’en était pas moins un dernier hommage que méritait et qu’attendait encore cette mémoire charmante, si peu en peine de la postérité, et n’aspirant qu’à un petit nombre de cœurs. Un érudit bien connu par sa conscience, sa rectitude et sa sagacité d’investigation en ces matières, M. Ravenel, après s’être avisé le premier de tout ce qu’avaient de défectueux les éditions antérieures, a préparé dès long-temps la sienne, qui est sur le point de s’exécuter. Un ami dont le nom reviendra souvent sous notre plume, et dont le talent animé d’un pur zèle fait faute désormais en bien des endroits de la littérature, M. Charles Labitte, devait s’y associer à M. Ravenel : c’est avec les notes de l’un, c’est moyennant les renseignemens continus et les directions de l’autre, qu’il m’est permis ici de venir repasser sur cette histoire et d’en fixer quelques particularités avec plus de précision qu’on n’avait fait jusqu’à présent. L’érudition ou ce qui pourrait en avoir l’air, en s’appliquant à ces sujets qui en sont si éloignés par nature, change véritablement de nom et prend quelque chose de la piété qui se met en quête vers les moindres reliques d’un mort chéri.

M. de Ferriol, ambassadeur de France à Constantinople, vit un jour, parmi les esclaves qu’on amenait vendre au marché, une petite fille qui paraissait âgée d’environ quatre ans, et dont la physionomie l’intéressa : les Turcs avaient pris et saccagé une ville de Circassie, ils en avaient tué ou emmené en esclavage les habitans ; l’enfant avait échappé au massacre de ses parens, lesquels étaient princes, dit-on, en leur pays. Du moins les souvenirs de la petite fille lui retraçaient un palais où elle était élevée, et une foule de gens empressés à la servir. M. de Ferriol acheta assez cher (1,500 livres) la petite Circassienne ; il était coutumier d’acheter de belles esclaves, et ce n’était guère dans un but désintéressé[1]. Ici il ne paraît pas que son intention

  1. Voici une petite anecdote à l’appui : « M. le comte de Nogent, qui s’appelle Bautru en son nom, est lieutenant-général des armées du roi, fils et peut-être petit-fils d’officier-général, frère de Mme la duchesse de Biron. C’est un homme qui toujours l’a porté fort haut et a fait le seigneur à la cour. Sa hauteur lui a attiré une scène fort déplaisante, en insultant à sa table, à Nogent-le-Roi, pendant les vacances, un officier de son voisinage, au sujet d’un mariage pour sa fille. Il a même eu la sottise de demander une réparation devant les juges de Chartres. Cela a donné occasion à cet officier de faire ou faire faire un petit mémoire que l’on a trouvé parfaitement écrit, et qui a été répandu dans tout Paris… Dans le mémoire en question, l’officier parle de la noblesse de la mère : on demanderait à propos de quoi. C’est une petite allusion sur ce que M. de Ferriol, ambassadeur à Constantinople, ramena ici deux esclaves très belles. Il en garda une pour lui ; le comte de Nogent, qui peut-être était son ami, prit l’autre. Non-seulement il l’a gardée, mais il l’a épousée, et c’est d’elle que vient la fille à marier qui a fait le sujet de la dispute. » (Journal de l’avocat Barbier, avril 1732, p., 578-579, Bibliothèque du roi, mss., suppléai. franç., no 2036 (47.)