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d’amour, de jalousie, de fureur, de bienséance, de probité et de grandeur d’ame. J’ai imaginé un sire de Couci, qui est un très digne homme, comme on n’en voit guère à la cour ; un très loyal chevalier, comme qui dirait le chevalier d’Aydie, ou le chevalier de Froulay. » Il avait dans le moment à se louer des bons offices de tous deux près du garde des sceaux ; il y revient dans une lettre du 13 janvier 1736, à Thieriot encore : « Si vous revoyez les deux chevaliers sans peur et sans reproche, joignez, je vous en prie, votre reconnaissance à la mienne. Je leur ai écrit ; mais il me semble que je ne leur ai pas dit assez avec quelle sensibilité je suis touché de leurs bontés, et combien je suis orgueilleux d’avoir pour mes protecteurs les deux plus vertueux hommes du royaume. » - La Correspondance de Mme du Deffand[1] nous donne également à connaître le chevalier par le dehors et tel qu’il était aux yeux du monde et dans l’habitude de l’amitié. Plusieurs lettres de lui nous le font voir après la jeunesse et bonnement retiré en famille dans sa province. Nous donnerons ici au long son portrait tracé par Mme du Deffand ; elle soupçonnait, mais elle ne marque pas assez profondément (car le monde ne sait pas tout) ce qui était le trait distinctif de son être, la sensibilité, la passion et surtout la tendre fidélité dont il se montra capable : ce sera à Mlle Aïssé de compléter Mme du Deffand sur ces points-là.


Portrait de M. le chevalier d’Aydie par madame la marquise du Deffand.

« M. le chevalier d’Aydie a l’esprit chaud, ferme et vigoureux ; tout en lui a la force et la vérité du sentiment. On a dit de M. de Fontenelle qu’à la place du cœur il avait un second cerveau : on définirait le chevalier d’Aydie en disant de lui le contraire.

« Jamais ses idées ne sont subtilisées ni refroidies par une vaine métaphysique ; tout est premier mouvement en lui ; il se laisse aller à l’impression que lui font les objets ; ses expressions sont fortes et énergiques ; quelquefois il est embarrassé au choix du mot le plus propre à rendre sa pensée, et l’effort qu’il fait alors donne plus de ressort et de chaleur à ses paroles. Il ne prend les idées, ni les opinions, ni les manières de personne. Ce qu’il pense, ce qu’il dit, est toujours original et naturel ; enfin le chevalier d’Aydie nous démontre que le langage de la passion est la sublime et véritable éloquence.

« Mais le cœur n’a pas toujours la faculté de sentir ; il a des momens de repos et d’inaction. Alors le chevalier n’est plus le même homme : toutes ses lumières s’éteignent ; enveloppé de ténèbres, s’il parle, ce n’est plus avec

  1. Les deux volumes in-8e publiés en 1809.